Une caméra filme une vitre éclairée sur laquelle sont animées, image par image, des silhouettes découpées dans du carton noir et reliées par des fils ; comme les pantins désarticulés que les enfants font avec les attaches parisiennes. Des décors, placés sur une seconde vitre située en-dessous sont ajourés dans des papiers semi-transparents. Parfois du savon, de la cire, du sable, du papier argenté permettent de créer des vagues ondulantes, des étoiles scintillantes, du brouillard ou des incantations magiques. Les deux plaques permettent également d'animer les décors.
Les positifs sont ensuite plongés dans des bains pour en teinter le fond. Du jaune pour les villes, du orange pour les intérieurs, du bleu pour la nuit, etc. Enfin, la partition de Wolfgang Zeller était chronométrée pour la faire correspondre le plus possible au rythme des images.
Véritable laboratoire technique de l'animation, Lotte et son équipe mettent au point, expérimentent, improvisent surtout sachant que le résultat final n'était visible qu'une fois la pellicule développée.
Ces silhouettes humanoïdes, chimériques ou végétales sont d'une extrême finesse et font plus dans la dentelle que dans la simple découpe aux ciseaux, leur animation même si souvent outragée est profondément dynamique et loquace : les personnages sautent et courent, ont peur, sont tristes ou agités. Certaines scènes conservent une étonnante intensité : le fameux combat entre le magicien africain et la sorcière, leurs métamorphoses successives et leurs boules de feu raviront les fans de Dragon Ball Z tandis que la nuée d'esprits lumineux affluant en rivières blanches sur les démons de l'île Wak-Wak rappelleront à d'autres les drones Anciens de Stargate.
L'histoire pour sa part reprend des épisodes des Mille et une Nuits dont le classique Aladdin et nous ouvre les portes de palais califaux, de montagnes embrumées chinoises, de grottes et de l'île Waq-Waq. Le jeune prince les parcourt, affronte le méchant enchanteur et divers monstres pour sauver sa sœur Dinasarde et la magnifique princesse Pari Banu.
Le théâtre d'ombres était en vogue en Europe depuis le XVIIIe siècle et fort populaire au début du XXe siècle mais c'est Lotte qui adapte et perfectionne cette idée pour le cinéma d'animation et qui lui donnera toute sa puissance expressionniste, toute sa poésie. Après elle, la technique et l'esthétique en clair-obscurs des silhouettes ne connaîtront que bien peu d'héritiers, le plus récent étant Michel Ocelot. Le Prince Ahmed est manifeste et testament.