Les bonnes relations entre Dreamworks et la France n'ont rien de nouvelle. Si Disney a eu un studio en France (à Montreuil plus précisément), Dreamworks a bons nombres de français au sein de ses animateurs, la plupart venant de l'école des Gobelins. Il n'a pas fallu très longtemps pour qu'un français soit promu réalisateur d'un de leurs films, puisque Bibo Bergeron avait repris en main le troisième film du studio, en compagnie de Don Paul. Si La route d'Eldorado (2000) fut un énorme four commercial (76 millions de dollars de recettes pour 90 millions de dollars de budget), Bergeron a tout de même pu diriger un autre film pour le studio, le désastreux Gang de requins (qui fut toutefois un succès en 2004).
Pierre Perifel a fait ses classes chez les Gobelins lui aussi, avant de travailler sur quelques films comme Tous à l'Ouest (Olivier Jean-Marie, 2007). Néanmoins, c'est vraiment chez Dreamworks qu'il s'impose en étant animateur sur les Kung fu panda (2008-2016), Monstres contre aliens (Letterman, Vernon, 2009) ou Rise of the guardians (Peter Ramsay, 2012). Au bout de quelques années, Perifel demande à réaliser un long-métrage et il s'intéresse alors à une série de récits pour enfants signée Aaron Blabey (2015-). Après avoir fait une sorte de bande-annonce storyboardée, Dreamworks lui a donné le feu vert.
Avec la crise du covid-19, Les Bad Guys a été plusieurs fois repoussé avant d'atteindre les salles en ce début avril. Le star-talent des versions françaises de Dreamworks a toujours varié, allant du très bien (les Shrek, La route d'Eldorado) à l'hasardeux / foireux (Nos voisins les hommes, Rise of the guardians...). Ici, on est sur une sorte d'entre-deux. C'est pas mal, mais on voit par exemple une nette différence entre Damien Boisseau jouant le Loup dans la bande-annonce et Pierre Niney qui le double finalement. De même, on peut être horripilé par le générique de fin français se focalisant uniquement sur les star-talents, laissant de vulgaires arrêts sur image sans crédit pour les acteurs de doublage dits "normaux". A croire qu'Igor Gotesman et Doully vont parler au grand public.
Bien qu'adapté d'une œuvre littéraire, Les Bad Guys fait pas mal penser à Zootopie (Howard, Moore, 2016). En effet, dans les deux films, des animaux dits dangereux sont mal vus par la société, au point de se conformer à ce statut. Au contraire d'animaux plus mignons qui se permettent des crimes en jouant sur un côté inoffensif au final inexistant. Les deux récits jouent donc sur les apparences trompeuses, les méchants n'étant pas ceux que l'on croit. Qui plus est en prenant les genres qu'ils abordent avec un minimum de sérieux (le policier et le film de braquage).
Néanmoins, les deux films ont des différences indéniables. L'Homme est bien présent dans Les Bad Guys symbolisé notamment par la chef de la police, prête à tout pour coffrer le groupe de braqueurs. Bien que le Loup est mis en avant, chaque membre du groupe a sa personnalité et ses capacités spécifiques.
L'animation est superbe et ne se repose pas sur des CGI. Il y a un mélange d'animation traditionnelle en 2D, de 3D et de CGI et le tout fonctionne du tonnerre. Ce qui en fait certainement le film Dreamworks le plus intéressant et novateur visuellement depuis Rise of the guardians (les suites de Dragons étaient très belles, mais étaient dans la continuité du style du premier film). Puis revoir Dreamworks aller vers ce type de style 19 ans après l'inégal Sinbad (Johnson, Gilmore) fait plaisir. Pour preuve la poursuite inaugurale, magnifique morceau de bravoure où il ne manque qu'un peu de funk pour être en osmose totale (on pense aux poursuites délirantes de la série Funky Cops). Ou cette superbe scène de danse, jouant pleinement des effets de la robe du Gouverneur.
Là où certains des films Dreamworks ont un humour aussi bateau que lourdingue, celui des Bad Guys est bien dosé et le film se suit sans déplaisir. Les Bad Guys est bien la preuve que quand Dreamworks a un projet en or, le studio va le sublimer. Il apparaît déjà comme un de ses classiques récents et Pierre Perifel est définitivement un artiste à suivre.