Ne vous fiez pas à l'apparente simplicité du pitch (une amitié brisée du jour au lendemain). Le film de Martin McDonagh propose une œuvre puissante et noire sur la bêtise humaine et la vanité de l'existence. Sur cette côte sauvage irlandaise, les animaux observent la folie des hommes et les rapports étranges qu'ils entretiennent les uns avec les autres...
Vous êtes ici devant un film d'une grande ambition et qui fera certainement l'objet de multiples analyses cinématographiques. Dans un village irlandais soigneusement reconstitué, des hommes et des femmes se croisent et se parlent malgré le froid de l'existence, le gris du ciel et les canons qui tonnent au loin. Au contraire des animaux qu'ils ont domestiqué, ils savent bien que la mort est proche, ce qui les rend gentils, bêtes, grotesques et parfois affreusement cruels.
Gravitant autour de tous ces personnages secondaires magistralement dessinés et interprétés, deux hommes viennent à briser leur amitié. Le plus vieux des deux, qui sent la mort venir, refuse en effet de gâcher son temps à écouter les platitudes de l'autre (pourtant un "brave gars"...).
Le drame entre ces deux hommes se déploie à travers des dialogues aiguisés et des situations radicales, parfois tellement absurdes qu'elles en deviennent drôles. La violence est pourtant omniprésente dans le film. En filigrane, le réalisateur nous dit que l'homme navigue à sa guise entre la possibilité d'être gentil (comme un âne) et celle d'être vaniteux et cruel (comme un prédateur sexuel).
La mise en scène des paysages irlandais somptueux et inaltérables, des animaux mutiques, et des hommes soumis à leurs propres rites, nourrit une puissante réflexion spirituelle dont les deux ex-amis sont les cobayes. En un sens, le réalisateur "joue" avec les deux héros pour avancer dans cette réflexion. Il donne aussi du sens au cadre au point d'offrir d'innombrables compositions photographiques signifiantes, que ce soit dans la taverne ou la maison de Colm.
Malgré ces éloges, j'aurais aimé que Martin McDonagh mette davantage un point final à sa réflexion. La dernière séquence, au bord d'une plage, interrompt le film davantage qu'il ne l'achève. Mais ce n'est pas très grave. Ce film est une très belle réussite.