Ces liens qui nous unissent, ces choses qui nous séparent

Avant d’aller voir The Banshees of Inisherin, je ne m’étais pas vraiment renseigné sur le film. La simple affiche où cohabitaient les noms de Colin Farrell, Brendan Gleeson et Martin McDonagh m’avaient largement suffi à savoir que le film aurait au moins mon attention. Non que je sois un grand admirateur du réalisateur, mais j’avais adoré son In Bruges qui m’avait particulièrement surpris à l’époque. Je m’attendais en effet à une sorte de comédie avec des tueurs à gage et j’y avais trouvé une forme de drame assez crépusculaire où les deux mêmes têtes d’affiche m’avaient également emporté par leurs interprétations.


J’avais donc envie de retrouver un peu de cela en allant voir The Banshees of Inisherin. Ne rien savoir du film, et me laisser emporter, en espérant y trouver sensibilité et belles prestations d’acteurs et actrices. Et alors que je me baladais dans les rues froides de Montréal pour aller au cinéma, je ne cessais de me dire « j’espère que je ne serai pas déçu ». Mais déçu de quoi alors que je n’avais pas préparé d’attentes particulières à part d’être emporté par un récit dont je ne savais absolument rien ?

Mais finalement, à la question « as-tu aimé ? », celui ou celle qui aura vu que j’ai attribué un 9/10 à ce film aura déjà un début de réponse. Peut-être que cette note est exagérée, je n’en sais rien. Mais en sortant du film, c’est la note que j’avais envie de lui attribuer. Et je pense qu’il la mérite.


Mais sans trop spoiler, de quoi ça parle The Banshees of Inisherin ? Faisons simple : c’est l’histoire de deux amis, dont on sait qu’ils sont normalement les meilleurs amis du monde, mais du jour au lendemain, l’un d’eux décide de ne plus parler à l’autre. Sans s’expliquer évidemment. Le film va alors tâcher pendant presque deux heures de développer ce qu’il reste de cette amitié sans quasiment jamais rien dire de ce qu'elle était. En tout cas très peu directement. La force de cette amitié va être inversement proportionnelle à la violence qu’elle va déployer pour y mettre fin.


Si le film est majoritairement tragique, il sait aussi être assez drôle. Parfois du comique de répétition, parfois des répliques qui font mouche, parfois la simple prestation des acteurs et actrices. Mais c’est en effet du côté du tragique que le film va se plus en plus s’enfoncer. Le film parle principalement de la relation entre les gens. Entre amis, entre frères et sœurs, entre père et fils, entre gens d’une même communauté isolée, et aussi (et ça a une place très importante dans le film) aux animaux. Qu’est-ce qui nous unit ? Nos histoires ? Nos ambitions ? Nos ragots ? Notre musique ? Les générations futures ? Un peu tout ça à la fois. Sauf que tout le monde n’a pas envie de recevoir et de donner la même chose. On n’est pas tous sensibles aux mêmes histoires, aux mêmes musiques, aux mêmes discussions. Et si parfois une amitié peut se construire avec force et passion sur un point commun, elle peut tout aussi bien s’effriter quand certaines ambitions ou d'autres éléments prennent le dessus.

The Banshees of Inisherin est un film bien plus complexe qu’il n’y parait. Assez peu de personnages, un lieu très fermé (une île irlandaise) et pourtant, il réussit à peindre avec justesse un tableau grandiose de toutes ces relations humaines, de la toxicité et de la beauté de l’amitié. Le tout dans une enveloppe visuelle absolument magnifique. Les cadrages, la photo… McDonagh et son équipe réussissent à capter toute la beauté mélancolique de l’Irlande pour la mettre au diapason de la beauté mélancolique de ces liens qui nous unissent ou de ces choses qui nous séparent.

Enfin, je ne vais pas développer plus que cela ici, mais le fond de guerre civile irlandaise n’est pas anodin. Les coups de feu que l’on entend régulièrement au loin et qui viennent rythmer le récit nous rappellent que ce à quoi on assiste, c’est aussi une guerre civile. Ces personnages qui ne se parlent plus, se séparent, se déchirent et finissent par se vouer une guerre où nul retour ne semble possible viennent faire écho à ce déchirement global de l’Irlande au XXème siècle.


Je vais donc m’arrêter là et me contenter de vous conseiller ce film. Je pourrais en dire plus mais il faudrait pour cela en spoiler des scènes. Et on ne veut pas spoiler. Je pense qu’il faut regarder ce film, se laisser porter sans avoir d’attentes particulières. C’est de mon côté une des plus belles découvertes de cette année. J’aime les films simples qui en suggèrent beaucoup. Ceux qui avec un plan, un regard entre Colin Farrell et un âne peuvent nous en dire beaucoup sur notre condition. Soulignons au passage, tous les acteurs et les actrices qui sont absolument fabuleux. Je n’ai pas eu envie de développer particulièrement ce point car il me faudrait raconter quelques scènes, mais ils portent cette histoire avec brio. Et ce soir-là, dans le froid canadien qui commençait à s’installer, c’est ce que je cherchais : du brio.


Solid_Seneque
9
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le 14 nov. 2022

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