Très peu sont les films français antérieurs à 1959 à m'avoir vraiment marqué ("Les Enfants du Paradis", "Les Diaboliques", "La Règle du Jeu", "Le Corbeau", "La Belle et la Bête", "L'Assassin habite au 21" et pas grand chose d'autre). Il y a des périodes dans des pays qui ne vous parlent pas comme le feraient d'autres. Ca arrive et nous n'y pouvons rien même en s'acharnant comme un petit diable. Jusqu'à présent, j'avais toujours suivi René Clair poliment après 4 longs-métrages dont "Porte des Lilas" en était le meilleur à mes yeux. Toutefois, ici, le synopsis me parlait beaucoup plus que les autres car il me renvoyait justement à mon enfance. Et quand une chose fait ça, c'est généralement bon signe si le résultat suit.
Claude est un rêveur cherchant à fuir la tyrannie sonore de ce monde où les klaxons, les marteau-piqueurs et les réveils précoces sont monnaie courante. Il en est devenu aigri, renfermé sur lui-même et son seul moment de plaisir est de s'évader aux confins du monde onirique où tout est possible. Non pas seulement pour le silence ou la musique classique qu'il affectionne tant mais pour les belles femmes inaccessibles à lui. Non pas qu'il soit repoussant, très loin de là, mais il n'arrive probablement pas à faire le premier pas. Sa timidité le ronge et dans les rêves, nous savons que même un obèse morbide peut s'envoyer en l'air avec Marlene Dietrich. Vous allez sans doute me dire que j'étais comme lui. Oui et non ! Si je n'étais pas allergique au bruit, j'étais timide et je me plaisais à m'endormir en rêvant du sexe opposé, de cette fille en classe qui me plaisait tant sans savoir nouer de liens avec. Je n'étais pas dans le raffinement des rêves de Claude mais plus dans les histoires de super-héros. Voilà pourquoi j'étais si attiré par l'histoire et pourquoi j'ai été justement si conquis par l'histoire.
René Clair nous offre un tableau touchant incroyable de poésie et de dramaturgie. C'est beau. Les sentiments sont vrais et innocents. Le tendre baiser est la conclusion du rêve. Les belles femmes se succèdent, rencontrées au coin d'une rue ou dans un bâtiment. Claude s'envole avec chacune d'entre elles séparément. C'est sa seule source de bonheur en dehors du piano. Il est fait ainsi et Dieu que c'est magique ! Cette pureté atypique en son genre ne parlera probablement pas à tout le monde mais on ne peut nier une sidérante maîtrise à laquelle s'ajoute un humour d'époque qui fait pourtant mouche. Seule ombre au tableau qui m'empêche de dire que "Les Belles de Nuit" est un chef-d'oeuvre est sa fin beaucoup trop bordélique. Pour autant, c'est une petite vague dans un océan de romance fantasmée et pourtant si belle.