Les Bêtes du Sud sauvage par Charlotte Brontë
Bonjour : je trouve ce film inégal, complaisant et décevant.
On se laisse dans un premier temps facilement embarquer, émerveillé, les yeux grands ouverts, comme ceux de la gamine qui nous conte son histoire. Du haut de ses six ans, Hushpuppy est à la fois narratrice, et philosophe en culotte courte et bottes de pluie dans un monde post et pré-apocalyptique qu'est cette région de Louisiane condamnée à se faire envahir par les eaux. L'entrée dans la subjectivité de l'enfant permet au film de se construire tout en ambiguïté, évoluant en équilibre instable entre réalisme et mythique. On entrevoit à travers son regard empreint de poésie et de lyrisme le quotidien d'une communauté qui semble vivre complètement en marge du monde : à la fois paradis écolo dans son retour à la nature, dans le genre Robinson Crusoé des temps modernes, mais aussi enfer de la pauvreté, de la misère et de la violence. On sent clairement palpiter la veine mythique américaine qui donne à ce film un faux air de grande épopée à la Steinbeck, avec ces personnages qui s'obstinent à rester enchaînés à leur terre, prêts pour cela à braver les tempêtes, inondations et autres cataclysmes : je garde en mémoire notamment cette image du père, qui pendant la tempête sort de la baraque pour tirer des coups de feu vers le ciel. Il y a du tragique, dans ces personnages qui malgré leur révolte, leur incompréhension face à la violence de la nature, continuent de lutter, même lorsqu'il n'y a plus d'espoir : je pense à la folie de ce moment où ils font exploser la digue, pour faire descendre le niveau de l'eau, alors même qu'ils savaient que cela ne ferait que mettre en lumière une terre dévastée et stérile, inhabitable. C'est un film sombre mais qui semble prôner, comme Les Raisins de la Colère de Steinbeck d'ailleurs, une morale de l'entraide et de la solidarité entre les hommes qui permet d'entrevoir une lueur d'espoir : ainsi la fin voit le retour de la gamine vers son père, sur le point de mourir, et la réunion de la petite communauté qui s'était formée au moment de la tempête, de retour sur leur terre, bien déterminés à rester et à survivre. Si l'ensemble s'inscrit dans ce registre épique assez classique, le film ne consiste pas cependant en un déballage clichés et de personnages héroïques à tout-va et j'aime en particulier le personnage du père et l'ambiguïté de sa relation avec sa fille, entre violence et tendresse.
Cependant, si la magie de l'intériorité de Hushpuppy est d'abord ce qui donne sa force et son originalité à la narration, c'est aussi à mon sens ce qui l'amène à tomber dans certains travers qui ne font que s'aggraver tout au long du film. La voix de la gamine, certes tout à fait attachante, met tout de même la crédibilité du film en danger : les pensées qui lui sont prêtées ne me paraissent franchement pas à la portée d'une gamine de six ans, si intelligente soit-elle. Ainsi toute cette philosophie de communion avec la nature "chaque chose à sa place", loi de la jungle à la Roi Lion "nous sommes les maillons de la grande chaîne de la vie" etc, perd peut-être un peu de sa profondeur. Ça me paraît aussi un peu profiter de l'écologie bien-pensante à la mode en ce moment, en n'étant pas capable d'établir une véritable réflexion originale sur le sujet. D'autre part, l'intrusion du mythique voire du mythologique n'est pas forcément toujours bien gérée, ce qui porte également atteinte à la crédibilité de l'ensemble : dans l'imaginaire de Hushpuppy il y a ces créatures appelées Aurochs, monstres dévastateurs qui sèmeraient la terreur chez les hommes. A plusieurs reprises le film est entrecoupé d'images laissant apercevoir ces créatures qui représentent une nature injuste, effrayante, contre laquelle il faut lutter avec courage. Mais à la fin, lorsque Hushpuppy revient vers son père mourant, apparaissent les Aurochs visiblement à sa poursuite, intégrant ainsi des créatures imaginaires à la réalité, et ceux-ci s'inclinent, s'agenouillent devant la petite fille qui se tient debout devant eux avec courage, ne cédant pas à la peur. A mon sens, cette scène tourne tout le film en ridicule, uniquement dans le but d'héroïser la gamine qui l'était déjà assez, et n'avait pas besoin de ce grossier recours pour l'être davantage. Enfin, il semble aussi y avoir une large tendance qui va de mal en pis tout au long du film à faire du misérabilisme, s'attardant sur la pauvreté, la misère, et nous servant pléthore de gros plans sur les animaux morts, les cadavres et leurs tripes à l'air : on se sent un peu comme Hushpuppy face au père qui, sous prétexte que le monde est violent, nous force à appréhender ce monde par la violence. On sent bien que l'on cherche à tout prix à nous soutirer de l'émotion, et la fin en particulier fait basculer le film dans le mélodrame à trois francs six-sous, avec cette scène pathétique, vraiment mauvaise où la gamine donne à manger à son père qui quelques secondes après meurt dans les bras de sa fille à coups de "don't cry baby", où là, vraiment j'en arrivais à me demander si c'était toujours le même film, et comment on en avait pu en arriver là.
En somme, de belles promesses et de jolis plans dans ce film, mais aussi de sales travers et des scènes franchement ridicules qui viennent définitivement le discréditer à mes yeux.