LES BONNES MANIÈRES (14,7) (Juliana Rojas & Marco Dutra, BRE, 2018, 135min) :


Un surprenant conte de fée pour adulte narrant le destin de Clara, une infirmière solitaire de la banlieue pauvre de São Paulo, engagée par Ana, une mystérieuse et riche jeune femme enceinte vivant dans les nouveaux beaux quartiers, pour être femme de ménages, avant de devenir nounou lorsqu’Ana donnera naissance à son enfant. Découvert en 2011 lors de leur première collaboration pour l’excellent Travailler fatigue, le duo revient de façon plus virtuose à travers ce nouveau projet de fable urbaine Les Bonnes Manières. Une fiction auréolée de multiples récompenses, à L’Étrange Festival 2017 (Prix du jury) et au festival international du film fantastique de Gérardmer 2018 (Prix du jury) notamment, c’est dire la curiosité suscitée par cette fiction à l’heure de sa sortie sur nos écrans.


D’emblée le générique pourrait s’apparenter à un ancien film Disney avec des cartons gravés tels des enluminures. D’entrée les cinéastes adoptent un ton très réaliste pour évoquer avec dichotomie les liens entre travail et classes sociales (Ana femme blanche milieu aisée et Clara noire issue de milieu populaire). Juliana Rojas et Marco Dutra utilisent les décors pour accentuer cette différence avec le chemin parcouru par Clara, de la périphérie jusqu’au centre de la ville où la tour ressemble presque à un château où la servante doit rejoindre sa reine patronne. Le long métrage glisse ensuite de la chronique sociale naturaliste à la romance où le désir s’empare des corps pour un rapprochement inattendu mélangeant peur et envies, avant que l’intrigue prenne un nouveau virage plus radical faisant tomber les barrières sociales et tous les tabous.


Constamment ce long-métrage surprend par ses ruptures de tons et son scénario scindé en deux parties distinctes. Un étrange drame fantastique subversif hybride (portrait existentiel de l'humain face à l'animal, comédie sociale, politique) avec le mythe du loup-garou au Brésil comme colonne vertébrale dramaturgique à l'histoire. Un film aux multiples couches et aux nombreuses thématiques qui se dévoilent à travers une superbe mise en scène très esthétique allant du gothique de la première partie aux codes horrifiques dans la deuxième partie. Les cinéastes s’appuient sur un récit métaphorique, pour décliner une fable politique et intime où les rapports familiaux et maternels structurent les actes, sans oublier l’invitation à l’imaginaire. Malheureusement la narration elliptique s’avère trop longue et la première partie intrigante génère plus de plaisirs dans l’attente que la deuxième partie horrifique très réussie, mais plus convenue dans son traitement quand la lycanthropie voit le jour de façon monstrueusement superbe dans un écrin photographique coloré du plus bel effet de l’animatronique du bébé jusqu’à l’enfant de 7 ans et une fin abrupte particulièrement ouverte.


Juliana Rojas et Marco Dutra offre une œuvre très ambitieuse qui convoque l’influence majeure des films La Féline (1942), Vaudou (1943) et L’Homme-léopard (1943) de Jacques Tourneur, le chef-d'œuvre La Nuit du chasseur (1955) de Charles Laughton et le cinéma de David Cronenberg et James Whale, en créant leur propre univers onirique et cauchemardesque, avec un talent certain pour repousser les frontières des genres. Venez-vous perdre dans la nuit pour confronter votre instinct maternel ou animal à travers Les Bonnes Manières. Sauvage. Envoûtant. Mutant. Séduisant.

seb2046
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le 9 mars 2018

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