Ayant habité moi-même à quelques kilomètres de Boa Viagem (où a été conçu et filmé "les Bruits de Recife") durant plus de deux ans, j'ai retrouvé avec un immense plaisir les Recifences chaleureux et sensibles que j'avais connus dans les années 90, malheureusement soumis désormais à une pression croissante de la violence urbaine qui pervertit profondément le lien social, en minant la confiance "naturelle" qui est le ciment de la culture brésilienne. Kleber Mendonça Filho filme très bien, à la bonne hauteur, à la juste distance, avec le bon rythme - qui colle parfaitement avec le fonctionnement émotionnel de ses personnages -, ce paradoxe d'une société d'une grande chaleur humaine qui peu à peu se dessèche, à l'image - brillamment mise en scène - du remplacement rapide des maisons traditionnelles par des immeubles à la géométrie impitoyable. La seconde grande idée de Mendonça Filho, c'est de construire largement sa fiction sur le panorama sonore du quartier - chien qui aboie, outils qui grincent, téléphones qui sonnent, etc. et pour finir, ces fameux pétards qui dissimuleront un meurtre - à même de susciter une paranoïa grandissante : on pense beaucoup à Antonioni en regardant "les Bruits de Recife", autant d'ailleurs pour cet univers mental et désincarné que pour la sensualité brute avec laquelle sont filmés les divers couples qui s'aiment dans le film. Là où "les Bruits de Recife" suscite des réserves, c'est malheureusement dans certaines déviations fantastiques qu'emprunte le film (le cinéma en ruine, le sang de la cascade, l'invasion des zombies) qui n'apportent pas grand chose, ne construisent aucun sens particulier par rapport au thème déjà très riche : on a l'impression qu'il s'agit là de citations un peu virtuoses, que Mendonça Filho s'est surtout fait plaisir, aux dépens du film et du spectateur. [Critique écrite en 2015]