Carl Reiner a débuté sa carrière en tant qu'acteur dans quelques comédies américaines au cours des années soixante dont, pour certaines, il était le scénariste. Bientôt il passe naturellement à la réalisation et livre là encore de nouvelles comédies. Si Dead Men Don't Wear Plaid est en une, c'est aussi et surtout un défi technique et scénaristique relevé avec talent, où l'utilisation d'extraits d'immenses classiques du polar américain permet à ses comédiens principaux de donner la réplique à une flopée de stars et de carrures de l'âge d'or des grands studios. Malgré un récit souvent léger, à la limite de la parodie, le film n'en demeure pas moins un impressionnant exercice d'écriture, de reconstitution et de montage réalisé avec brio.
Rigby Reardon est un privé, détective un peu balourd, qui se voit confier une enquête – autour de l'accident de voiture qui a coûté la vie à un richissime et excentrique scientifique – par Juliet Forrest – la fille de ce dernier. Son investigation le promène à travers Los Angeles d'abord, puis dans les îles, à la rencontre ou à la merci de différents protagonistes plus ou moins impliqués dans le déroulement d'événements liés à une certaine Carlotta. Ici pas de grande nouveauté : le film se veut un hommage aux plus fameuses productions des grands studios de l'âge d'or d'Hollywood et les libertés qu'il prend ne sont pas directement dans le récit.
Le challenge de ce métrage en noir et blanc, c'est l'aller retour incessant, à l'intérieur même des séquences, entre les scènes tournées autour de Steve Martin et Rachel Ward et d'innombrables extraits de ces grands films qui ont fait l'histoire du polar d'après-guerre. De Double Indemnity ou The Lost Week-End de Billy Wilder à The Big Sleep d'Howard Hawks ou Suspicion d'Alfred Hitchcok, en passant par Dark Passage de Delmer Daves ou encore The Postman Always Rings Twice de Tay Garnett, une quinzaine de films sont ici ramenés à la vie, détournés un instant pour alimenter une succession de séquences décalées et drôles, inattendues autant que bluffantes, et construire peu à peu, plus que le récit, l'hommage toujours respectueux derrière la parodie. Il faut là souligner le travail admirable des décors et des costumes reconstitués autant que celui de la photographie noir et blanc qui vient retrouver le grain de pellicule de ces anciens métrages : les raccords sont toujours justes, l'ambiance de chaque scène retrouve sans pâlir le luxe d'antan, et le détournement des dialogues épate par sa finesse et son intelligence.
Steve Martin, qui endosse le rôle du détective trouve là un écrin somptueux à ses grimaces et autres déambulations loufoques où saisir l'incroyable opportunité de donner la réplique, à travers ce montage de pans entiers de vieux films, à Humphrey Bogart, Cary Grant, Kirk Douglas, Burt Lancaster et j'en passe de ces monstres sacrés. Ray Milland, Veronica Lake, James Cagney, Joan Crawford, Bette Davis, Vincent Price encore sont de la partie. Chaque nouvelle séquence apporte son lot de surprises, chaque raccord émerveille et réveille les souvenirs inaltérables d'œuvres grandioses : le foisonnement subjugue, séduit, convainc. Ne boudons pas là notre plaisir de cinéphage impénitent, Dead Men Don't Wear Plaid est d'une sublime virtuosité tant au scénario sans prétention que dans l'hommage constant, dense et profond à ce cinéma d'un certain renouveau où d'immenses stars ont appliqué leur indélébile empreinte. Rachel Ward interprète elle la jeune femme désœuvrée qui vient trouver Rigby Reardon et profite tout autant de cette rare chance de se confronter aux plus grands sans avoir à rougir de sa prestation, où sa beauté rayonne à l'image au moins autant que celle d'Ava Gardner ou d'Ingrid Bergman.
Film à découvrir absolument pour tout passionné de cinéma qui se respecte, ce merveilleux et surprenant Dead Men Don't Wear Plaid fait l'hommage puissant, tout en dérision, à une époque glorieuse de la machine à rêve et, dans le respect des codes du film noir, s'amuse avec intelligence, tact et minutie, de la richesse luxuriante des catalogues de la Warner, de RKO ou de la Metro-Goldwyn-Mayer. Carl Reiner signe là un métrage à ranger dans le top des classiques du polar et Steve Martin excelle avec un incroyable plaisir partagé dans ce jeu de miroirs absents taillé sur mesure où le spectateur, s'il est certes lésé de sueurs froides, en a pour son grade à satiété. Bijou méconnu au cœur d'une décennie portée davantage sur le grand spectacle de divertissement que sur les regards en arrière, ce polar comique gagne à être vu et revu en offrant à tous les publics et à toutes les générations un coup d'œil tendre, moderne et sans mélancolie, aux heures inoubliables du film noir américain et à ses comédiens les plus remarquables.