Les Centurions par pierrick_D_

Après la débâcle de Dien Bien Phu,le régiment parachutiste commandé par le lieutenant-colonel Raspeguy est évacué d'Indochine et démobilisé.Mais l'officier n'entend pas en rester là et il parvient à obtenir un nouveau commandement en Algérie,reconstituant son équipe pour repartir au combat.Cette curieuse coprod franco-américaine sur la guerre d'Algérie est dirigée par le producteur-réalisateur Mark Robson,qui adapte un roman de Jean Lartéguy.Le problème est que le film donne une vision très hollywoodienne du conflit,pleine d'ellipses,de situations sommaires,de personnages caricaturaux à la psychologie parfois contradictoire et de morale manichéenne entretenant une certaine confusion quant au sens du discours.Les français feront beaucoup mieux plus tard avec des oeuvres autrement plus âpres,réalistes et inspirées telles que "L'honneur d'un capitaine" de Schoendoerffer ou "L'ennemi intime" de Siri.Techniquement c'est très bien fait,Robson est un bon réalisateur,il a du métier,et ses scènes de combats sont lisibles et bien menées.Il est de plus aidé par une belle photo signée du grand Robert Surtees,assisté pour l'occasion de son fils Bruce qui deviendra lui-même un excellent chef-op,tandis que Franz Waxman envoie une musique martiale très adaptée au contexte.Les décors espagnols,qui n'ont pas servi qu'aux westerns européens,sont magnifiques et figurent de manière convaincante l'Algérie,mais leur utilisation au début du film censé se dérouler en Indo est complètement naze,ces déserts arides ne ressemblant nullement à l'Asie.On assiste donc aux aventures d'un groupe de soldats dopés à la guerre et à l'idée de la grandeur de la France,qu'ils défendent en dépit des magouilles de politiciens qui les envoient au casse-pipe tout en négociant leurs redditions en secret.Les mecs sont taillés d'un seul bloc et ont des rôles bien définis.Raspeguy,inspiré parait-il du général Bigeard,est un ancien paysan basque,un dur à cuire sorti du rang et dévoré par l'ambition car il est avide de revanche sociale.C'est un militaire de talent mais il est prêt à tout pour obtenir le succès,même à oublier la Loi ou la morale.Il est secondé par deux capitaines aussi différents qu'on puisse l'être.Si Boisfeuras,inspiré lui du général Aussaresses,est un guerrier féroce aux tendances sadiques et psychopathiques,Estravier est par contre le progressiste de la bande,toujours prêt à s'opposer aux dérives violentes et à brandir les valeurs morales,voir à approuver les combats,légitimes selon lui,menés par l'ennemi.Cet intello égaré chez les brutes va donc régulièrement s'empéguer avec Raspeguy et Boisfeuras,croyant dur comme fer que les guerres peuvent être propres et se gagner en respectant la charte des bisounours.La réalité lui donnera tort et fera de lui un imbécile et un traître,mais le scénariste semble lui donner raison et il s'en ira pendant que ses camarades recevront leurs récompenses si mal gagnées d'après lui,arborant son petit air narquois et supérieur de gauchiste éclairé.Ce personnage est une des principales faiblesses du film car il est totalement schizo.Après tout il a parfaitement le droit de désapprouver les méthodes de l'armée et les opérations menées au nom de la nation,mais alors qu'est-ce qu'il fout là?Le gars est engagé volontaire et se comporte brillamment sur le terrain vu que c'est par ailleurs un très bon soldat,mais il a ses vapeurs dès qu'on transgresse les codes de la Convention de Genève,ce qui arrive assez souvent dans cette sale guerre où le terrorisme s'impose.La seule raison de sa présence parait être son étrange lien avec Raspeguy,qui le fascine et pour qui il a la plus grande admiration.Le colonel de son côté éprouve une affection de nature paternelle pour ce subordonné si différent de lui qui est en quelque sorte son chouchou et duquel il tolère bien des insolences.La situation est si compliquée que la schizophrénie touche tout le monde,le lieutenant Mahidi en étant un bel exemple.Cet algérien qui a servi héroïquement en Indochine se retrouve à combattre du côté des indépendantistes contre ses ex camarades parachutistes.Tout est grossièrement servi à la louche dans ce film où la caricature abonde,de politiciens et d'état-major français faux-jetons en pieds-noirs lâches et racistes,de paras tortionnaires en arabes fanatisés,quand ce ne sont pas des vietnamiens ridicules.Globalement,ce qui est montré est exact mais les faits sont déformés et révisés afin d'entrer dans le moule d'un certain cinéma spectacle à l'américaine pas vraiment efficace pour le coup,d'autant que le livre de Lartéguy,auteur résolument colonialiste et anti-communiste,a dû être largement trahi.Il est amusant de voir Alain Delon,droitard nationaliste affirmé,jouer ce bien-pensant indécis.L'acteur retrouve ici Claudia Cardinale,trois ans après "Le guépard",et Maurice Ronet,six ans après "Plein soleil" et deux ans avant "La piscine".Ce qui est encore plus drôle est qu'il a réellement participé à la guerre d'Indochine,pas en tant qu'officier parachutiste mais comme simple fantassin,se faisant rapidement virer de l'armée après quelques conneries genre vol de véhicule militaire pour aller faire la bringue.Il est peu à l'aise dans ce rôle et se révèle très mauvais,ce qui n'est pas dans ses habitudes.Claudia est égale à elle-même,magnifique physiquement mais parfaitement incompétente dans le jeu.L'italienne est née en Tunisie,peut-être est-ce pour ça qu'on lui a confié cet emploi de militante algérienne.Anthony Quinn est par contre fantastique en vieux soldat charismatique qui ne vit que pour son métier et Maurice Ronet est hallucinant en fou de guerre complètement allumé.L'américain George Segal n'est guère convaincant dans la peau de Mahidi alors que Michèle Morgan apparait peu en comtesse classieuse bizarrement séduite par ce plouc de Raspeguy qu'elle méprisait au départ.Il y a pas mal de français parmi les seconds couteaux,notamment Grégoire Aslan,fameux en chef de réseau terroriste arabe,Jean Servais,gravement à l'ouest en général manipulateur,Maurice Sarfati et Jean-Claude Bercq,excellents en sous-offs rudes au combat ou Jacques Marin,veule à souhait en maire dépassé par les évènements.L'espagnol Aldo Sambrell,figure du western spaghetti ou paella,est très performant en guerrier algérien hyper motivé.