Ce film pépite qui laissera les interprétations suivre leurs cours.
Le format carré du film ; la musique qui ponctue intensément des passages étonnement fin ; une bande son en léger décalage ; des personnages aussi variés que captivant à suivre ; une écriture relativement originale est très clairement radicale. Tel est la carte d'identité des Chambres Rouges.
Le film de procès est toujours un rendez-vous pour les spectateurs. Rien de plus cinématographique. Nous sortons de 2023, avec le bagage de deux films de procès francophone qui n'ont pas manqué de raisonner à la vue de la première partie.
Ici, le sujet et son traitement sont très différents. On ne se concentrera pas tant sur le crime que sur les personnes qui le construisent.
Et c'est là que la réflexion vient opposer deux lectures que je trouve toutes deux passionnantes.
Nous avons la lecture esthétique du film qui, tendrait à voir le film comme la romance fantasmé d'une femme froide et solide face à un individu à la fois vulnérable face à la loi et intouchable physiquement lorsque cette même loi se met en scène. Alors nous verrons certains personnages amoureux se défaire de leur sentiment parce qu'il voulait voir un certain idéal chez cet accusé pendant que d'autres (une en particulier), voulaient juste approfondir ce sentiment naissant d'attirance qui ne saurait s'arrêter parce qu'il est plus lié à sa force sociale qu'à sa morale. L'une voit un symbole qui matérialise les victimes de la société qui les juges pour de mauvaises raisons, symbole complétement artificiel. L'autre voit, ressent cette puissance de l'horreur qui magnétise les regards et les questionnements. La fascination pour cette figure serait alors un amour pur de la singularité de celui qui fait et en retire une gloire funeste, morbide ; mais très palpable.
Ainsi telle est l'interprétation (que je ne partage pas), plutôt esthétique du film.
De l'autre côté, il y a la lecture plus logique du film. Il ne s'agirait pas d'amour, concernant l'émotion que ressentirait notre personnage principal ; mais d'un investissement aveugle dans la recherche de la vérité ; aussi sombre et difficile qu'elle suppose.
Un personnage si préoccupé par cette recherche se mettra alors à sauter sur toutes les occasions pour comprendre ce qui l'entoure. Si elle dort dehors, c'est simplement pour respirer. Comme si elle ne pouvait pas comprendre si elle ne pouvait pas vivre la vulnérabilité. Si elle est mannequin, c'est pour jouer des personnages, se glisser dans leur peau et se mettre de l'autre côté du miroir (contrôlé son image par conséquent), et accessoirement avoir une base financière pour s'entretenir. Si elle joue au Poker, c'est par ce que c'est le meilleur moyen de faire exploser ses moyens financiers. Tout cela permettant d'aller jusqu'à l'empathie à la vue d'un bourreau et de sa victime. Elle pleure au début du procès parce qu'elle ne comprend pas, parce qu'elle se rend compte que quelque chose la dépasse. Ce n'est que de la fascination, si elle est amoureuse de quelque chose, c'est uniquement de son enquête. Elle ne veut pas devenir réellement la victime, elle veut toucher à ce qui est inaccessible. Braver ce qui est si difficile d'accès. Ce qui est même interdit.
La blague de Guennièvre "Pourquoi les fantômes sont de très mauvais menteurs ? Parce qu'on voit à travers eux." est comme la clé voûte. Pour savoir si cet homme est coupable et savoir éventuellement ce qui se passe en lui, il suffit de le regarder. Alors elle attira l'attention du tueur pour qu'il la regarde, dans les yeux. Elle verra alors que cette figure fantomatique a tué. Du moins ses yeux lui ont fait comprendre que tout porte à le croire. Rien n'est encore prouvé la preuve irréfutable manque encore. C'est alors qu'elle s'engagera dans la quête finale d'apporter cette dernière preuve qui illuminera le mystère de sa sanglante vérité, tout cela était fort probable, désormais, c'est hors de doute raisonnable.
Elle ira déposer la clé du puzzle sur la table de nuit de la mère de la victime et prendra le temps au préalable de se prendre en photo avec l'apparence de la petite Camille, assise sur son lit. Ce moment ambigu, je le comprends comme la volonté de comprendre aussi la victime, moins mystérieuse que son tueur, mais tout de même différente de l'investigatrice. Elle entre en empathie. Et pour cela, il a fallu qu'elle se costume, qu'elle se travestisse comme dans ses shootings.
Ce n'est pas une amoureuse, mais une enquêteuse.
Voilà ma lecture.
Aussi, la question posée par le film est, qui est le plus étrange entre le meurtrier et son public ? C'est ici que tout devient vertigineux, je vous laisse vous faire votre cheminement de pensée. Le mien est tenté de dire que les deux partis sont immoraux au plus au point. Maintenant, tout dépend si l'on parle de ce que provoque l'individu ou de ce que recherche l'individu. Les moyens ou leurs intentions.
Là où je trouve que le propos du film a un angle mort qui me pose problème, c'est sur le questionnement moral de la justice tel qu'elle est pensée. On ne donne pas de nuance à cet esprit vengeur des victimes qui ont très clairement des intentions malsaines. Elle subit le mal et demande à ce que l'on en fasse davantage. C'est quelque chose de typique chez l'esprit malade et obsédé. Pourtant, quelle différence physique y a-t-il entre un meurtre et une condamnation ? Dans les deux cas, il est imposé par celui qui ne le subit pas. Le degré bien sûr n'est pas pareil. La question n'est pas tant d'accabler les victimes que leurs moyens de se réconcilier avec la réalité. Rien ne sera résolu par la soif de sang. Il faudra trouver un meilleur conseiller pour se reconstruire. La violence étant quelque chose qui ne se mesure pas. Elle est légitime uniquement lorsqu'il ne nous reste que cela. Est-ce le cas de cette mère anéanti ? Tout porte à le penser. La vérité, c'est que la vengeance, c'est la part futile des victimes. Leur part d'innocence s'en trouve touché. Un crime impuni, c'est juste un crime. Un crime résolu, c'est un crime en moins. Un crime puni, c'est passer du singulier au pluriel.
Certainement que le film ne s'intéresse pas à ce questionnement. Toujours est-il qu'il me touche profondément. Et je pense que c'est cela aussi qui fait qu'Anatomie d'Une Chute (et certainement bien d'autres films de procès), est un manifeste pour réformer en profondeur ce qu'il y a derrière le mot justice.