On peut dire que la réalisation québécoise a le vent en poupe. Après la série démente de Xavier Dolan La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, et le génial Simple comme Sylvain de Monia Chokri, Pascal Plante revient ici avec son troisième long-métrage, Les Chambres Rouges.
Un homme est accusé d'avoir horriblement torturé et tué 3 jeunes filles, dans ce que l'on appelle des chambres rouges. Éternels mythes d'internet, les red room sont des diffusions en direct mettant en scène des meurtres, crimes et viols, le tout étant vendu aux enchères sur le dark web. À ce jour, la réelle existence de ces diffusions est toujours sujette à débat.
Le film suit le procès de cet homme, d'un point de vue particulièrement déstabilisant, à savoir celui d'une groupie qui décide d'assister chaque jour à l'audience, fascinée par les actes inimaginables de ce Démon de Rosemont. Alors qu'on pourrait s'attendre à un film de procès au premier abord, tout ce dispositif n'est qu'un prétexte pour s'intéresser à la déviance de l'être humain, et son obsession morbide pour le mal. Le tueur n'existera pratiquement pas dans le récit, si ce n'est pour représenter la fascination malsaine qu’il engendre.
Ce sinistre point de vue est incarné par un duo d'actrices très complémentaire. D'un côté Juliette Gariépy, une mannequin magnétique et fascinante de beauté, qui cache derrière ses traits effrayamment banals une profonde perversion. De l'autre Laurie Babin, une personnalité beaucoup plus excentrique, à qui le spectateur prête immédiatement des mauvaises intentions (complotisme et hystérie). Particulièrement irritant dans un premier temps, ce personnage se révèlera en réalité bien plus touchant et complexe par la suite.
La mise en scène du film est implacable. Le métrage propose régulièrement des plans séquences de plusieurs dizaines de minutes, rendant l‘atmosphère de la salle de procès absolument irrespirable. Je n'avais pas vécu une séance aussi étouffante depuis le chef-d'œuvre As Bestas de Rodrigo Sorogoyen.
La précision du filmage est sidérante, à travers une caméra qui joue parfaitement avec les regards et les mouvements des personnages dans le cadre. On retiendra bien évidemment cette scène que je ne dévoilerai pas, mais dans laquelle un seul regard fera vriller l'entièreté du récit, traumatisant pour toujours son spectateur. J'écris cette critique plus d'une semaine après mon visionnage, et ce regard me hante toujours.
Plante utilise l'image pour appuyer la terreur et la puissance du récit, mais joue également admirablement bien avec le hors-champ. Il y a seulement quelques semaines, on parlait du travail brillant du hors-champ dans The Zone of Interest, et on n'en est pas bien loin ici.
On ne verra aucune image de ces vidéos, aucune goutte de sang provenant de ces horreurs. Simplement des suggestions dans le coin de l'image. Tout dans le cadre est parfaitement calibré et disposé, les écrans et les reflets, pour ne faire qu'entrapercevoir ce que l'on ne peut imaginer.
Au-delà du travail sur l'image, Plante manipule brillamment les sons environnants pour solliciter nos peurs les plus profondes. Dans une époque où l'horreur se vend à travers du gore outrancier et des jump-scares à l'excès, le film joue bien plus sur des traumas enfouis et viscéraux.
Pas besoin d'en faire des tonnes à l'écran, quand un simple cri de victime peut terrasser votre conscience et votre imaginaire. Le dispositif est très épuré et resserré, 2-3 décors, un filmage chirurgical. Mais pourtant, rien ne m'a plus tétanisé et enfoncé au plus profond de mon siège depuis des années.
Pour autant, Plante ne nous perd jamais dans ce labyrinthe diabolique, et le film respire une maîtrise absolue du rythme et du montage. Le réalisateur joue parfaitement avec nos limites, en coupant les séquences sonores à la seconde où elles nous deviennent insupportables.
Toute cette terreur visuelle et narrative est par ailleurs sublimée par une bande originale proprement extraordinaire, composée par Dominique Plante (oui, c'est bien le frère du réalisateur). Les thèmes musicaux, aussi mélodieux que démoniaques, hantent cette salle de procès, allant jusqu’à déposer des cris de victimes sur ses notes.
Les Chambres Rouges est un pur film d'horreur, un objet qui nous fascine autant qu'il nous repousse. Malgré des séquences à la limite du supportable, le tout est si bien orchestré qu'il nous est impossible de quitter notre regard de ce spectacle diabolique.
L'expérience du film fait ainsi admirablement bien écho à son propos, à savoir la critique d'un voyeurisme particulièrement pervers de l'être humain. Même si la justice tente de condamner les actes de cet homme, le mal est déjà fait ; la société ne peut s'empêcher de rendre célèbre ces monstres, à travers une surmédiatisation qui alimente inévitablement une bien triste curiosité morbide.
Le tout parvient à nous toucher de plein fouet car il adresse une réalité authentique, celle du mal numérique contemporain. Difficile de ne pas imaginer la réelle existence de tels marchés mortuaires, à l'heure où la perversion de l'être humain déborde sur les réseaux, regorgeant de spectateurs avides de sensationnalisme. Le film commente le sadisme d'une époque où les gens se passionnent pour le true crime, jusqu'à en sacraliser les figures les plus monstrueuses. Il rappelle à la raison, en confrontant brutalement ses personnages à la réalité des atrocités commises.
Plongée cauchemardesque dans les déviances les plus sombres de l'être humain, Les Chambres Rouges est un chef-d'œuvre du genre. À travers une réalisation exceptionnelle, Pascal Plante joue avec nos peurs les plus viscérales et nous fait ressentir l'indicible. Une gigantesque claque.
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