Cri dansant
Les Chatouilles n'est pas une histoire de viol. Ce n'est pas une histoire d'enfant traumatisée, de victime qui ne s'en remet pas. Au contraire. C'est une histoire de vie au-delà du viol, de la...
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le 8 nov. 2018
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Le discours qui consiste à placer l’enfance en période dorée, autel de l’apprentissage (ou temple de la construction de soi vous choisissez la métaphore religieuse qui vous sied le mieux) a tendance à se mordre la queue et à sacraliser une période qui, d’une part n’est pas tant délimitée, d’autre part, n’est certainement pas dénuée de lien avec l’adolescence, toute aussi formatrice à mes yeux. De fait, cette tendance à idolâtrer cet âge me semble tourner à vide et oublie le principal selon moi : un être humain n’a de cesse d’évoluer tout au long de sa vie.
Considéré que l’essentiel de la formation d’un être humain se fait durant les 20 premières années de sa vie est pour moi une erreur. Suis-je en train de sous-entendre qu’adulte, on en apprend plus qu’enfant ? Oui, et si ce n’est pas le cas, autant directement se tirer une balle (pour le spectacle) ou sauter du haut d’un pont (plus économique) une fois majeur.
Cette introduction pour vous signaler que, lorsque j’ai pu voir le film Les Chatouilles d’Andrea Bescond et Éric Métayer le 20 novembre 2018, les réactions des spectateurs à l’issue de la séance furent très vives. On ne touche pas à l’enfance ! La pédophilie est un thème qui, comme tant d’autres, a l’air de surpasser les qualités intrinsèques d’une œuvre : si tu dénonces, c’est forcément que ton film est bon. Je précise que la projection était suivie d’une rencontre avec Éric Métayer, dont j’emprunterai les propos à moult reprises.
« Les producteurs, à Avignon, se sont manifestés à la fin du spectacle et ont dit qu’il fallait en faire un film »
Pour Les Chatouilles, le duo travaille sur une adaptation d’une pièce de théâtre, un seul en scène qui plus est. D’après Métayer, le travail sur le film a duré 3 ans au total, pour un tournage de 35 jours seulement. L’adaptation est un exercice lourd de sens et finalement assez complexe : on ne construit pas des personnages de théâtre comme des personnages de cinéma. Le rapport à l’espace, au verbe, à la caméra et au public, pour ne citer qu’eux, sont malgré tout différent… D’autant plus qu’Andrea Bescond est danseuse ! Pour avoir réussi à transposer ses idées de la scène à l’écran, il faut avoir un minimum de recul sur les deux. Comprendre pour mieux transmettre.
Dans l’optique d’une transmission, et même si la sacralisation de l’enfance peut m’exaspérer, la question du traumatisme est ici prépondérante.
Et Métayer de le résumer ainsi : « La pièce a beaucoup tourné, 400 représentations […] Elle a vraiment aidé dans le processus psychanalytique d’Andrea ».
Est-ce le cas pour Les Chatouilles ? Nous, spectateurs, assistons autant à la reconstruction (autobiographique) d’Andrea Bescond, que celle de son personnage… Je sens, dans les choix de narration et, a fortiori, dans la manière de construire les personnages, une volonté d’évoquer avant toute chose son histoire personnelle. Volonté louable mais qui, selon moi, trébuche sur des maladresses. La redondance des scènes de danse et des effets de montages qui les accompagnent me laisse en dehors. Des dialogues écrits pour caractériser des personnages en les associant à des clichés éculés -ou non- alourdissent le tout. La mère en est ici le criant exemple : où comment, avec les meilleures intentions du monde, livrer un regard unilatéral… ironique n’est-ce pas ?
Toujours selon Métayer, le film a été écrit à deux. La complicité entre les deux artistes est fondamentale dans leur processus de création : « Comme on avait travaillé ensemble sur la pièce c’était plus facile » confesse Métayer. Je me permets de remettre en cause le résultat : sommes-nous gagnants ? Le fait d’avoir travaillé sur une adaptation rend le tout très énergique, soit. Reste que bon nombre d’effets sont trop appuyés pour ne pas m’exaspérer à la longue. Le théâtre et le cinéma ne peuvent être envisagés de la même manière, ce qui fonctionne sur scène peut être désamorcé par le montage.
La démarche de Bescond et Métayer est tout ce qu’il y a de plus sincère : tirer de son traumatisme la fureur de vivre, l’énergie de créer, cette manière de procéder est libératrice.
Pour le coréalisateur à propos de sa partenaire : « La réception du film a été importante, les spectateurs et parmi eux des victimes qui viennent nous parler […] ça lui a permis de se dire je ne suis pas folle, je ne suis pas seule. C’est important de dire aux victimes que ce n’est pas parce que quelqu’un ne vous croit pas que d’autres ne vous croiront pas non plus. ». Ce « vous n’êtes pas seul(e)s » est au cœur de la démarche des réalisateurs et, selon moi, transparaît dans le film, malgré ses défauts.
Un être humain n’a de cesse de se construire toute sa vie. Andrea Bescond prouve qu’on peut faire de ses bases fragiles une force, un moteur. Dans l’énergie que dégage le film, énergie empreinte d’une envie de bien faire, de faire partager, d’aider les autres, Les Chatouilles parvient malgré tout à se démarquer.
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Créée
le 25 mai 2021
Critique lue 53 fois
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