De ce côté-ci de l'Atlantique, on ne peut pas dire qu'une censure similaire au code Hays américain s'appliquait sur la production cinématographique britannique à la fin des années 50... Pour son premier film, le réalisateur des Innocents (dans un registre fantastique très différent) Jack Clayton s'adonnait à un commentaire cinglant sur l'antagonisme de classes, en prenant pour décor la société anglaise d'après-guerre et pour thème la condition d'un homme originaire d'une petite ville industrielle du Yorkshire tiraillé entre la réussite sociale et les sentiments amoureux.
L'acteur Laurence Harvey peut paraître quelque peu monolithique, obsédé par la réussite, qui plus est emprisonné non seulement dans sa classe sociale modeste mais aussi dans un personnage qui n'aura de cesse d'évoluer selon plusieurs directions, plusieurs pôles amoureux et professionnels. Ces mouvements de va-et-vient ne sont pas toujours retranscrits avec une immense souplesse, donnant l'impression de le voir faire constamment marche arrière pendant deux heures, à chaque fois que son cœur ou son appétit sexuel se heurte à un mur, à chaque fois que ses aspirations sociales se trouvent contrariées par la rigidité de quelque code moral.
Pourtant, au-delà de son caractère programmatique, Les Chemins de la haute ville reste très intéressant, de par la violence et la mélancolie qu'il parvient à distiller au cœur de cette ascension sociale très périlleuse. Il y a les décors très bruts d'un bastion industriel encore détruit par les bombes allemandes de la Seconde Guerre mondiale pour figurer la destruction émotionnelle du protagoniste, balloté entre la fille d'un riche industriel qui semble inaccessible (de par sa situation sociale et les nombreux bâtons que sa famille lui met dans les roues) et une actrice française (Simone Signoret, très bien dans ce rôle) prisonnière de son vieux mari. C'est simple, quand l'une disparaît, l'autre réapparaît.
On peut être gêné par l'académisme qui affleure dans le discours beaucoup trop explicite sur le dialogue impossible entre classes sociales, ainsi que dans la composition de nombreux plans trop ouvertement travaillés (dans la lumière, dans le cadre). Pourtant, au-delà des dilemmes moraux qui hanteront le protagoniste du début à la fin, en marge de ce questionnement existentiel, la vigueur avec laquelle Jack Clayton met en scène la désolation du Nord industriel de l'Angleterre et la frontalité avec laquelle il aborde la thématique du sexe font de Room at the Top un jalon important du cinéma britannique. Et la séquence finale, conférant à un mariage l'allure d'un enterrement et inscrivant l'élévation sociale dans la douleur, avec cette fameuse larme équivoque, vaut à elle seule le détour.
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