État de piège
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le 22 mars 2017
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Me renseignant un peu sur John Carpenter j’ai pu l’entendre discuter de ce film. Dans le documentaire « Big John » il raconte ainsi que les deux films qui ont véritablement dérangé ses étudiants de Santa Barbara étaient « L’empire des sens » et ce film de Sam Peckinpah. Son cours portait sur le sexe et la violence au cinéma.
Suivant la recommandation du monsieur, et devant déjà le voir depuis un moment, je me suis installé devant mon écran, attendant de front le choc de l’ensauvagement de Dustin Hoffman.
Et si dans une large mesure, le film se vit comme un choc des ressentis, sa dimension la plus fascinante apparaît être cette montée en abstraction de la violence qui surgit en ces Cornouailles de petits villages. On comprend alors que John Carpenter trouve ce film sous-estimé, lui-même ayant repris la flambeau de l’abstrait et de l’invisible qui nous font scruter les côtés les plus sombres de nos petits écrans à la recherche de points de repères qui n’apparaissent jamais.
La scène du viol, à jamais insoutenable de par l’ambiguïté que Peckinpah y insinue au fur et à mesure, illustre complétement le premier niveau de lecture du film : une suite de scènes « choc » dans un arrière-pays qui les représenterait tous. Lecture à laquelle se seront arrêtées certaines critiques (américaines) pour injustement juger le film qui se présentait à eux en une pornographie de la violence.
Mais si on doit concéder un certain « taper juste » à cette critique c’est que le film se construit en fait sur une mécanique à rapprocher de la pornographie. A l’image du plaisir sexuel visé par la pornographie, qui se traduirait comme une montée roborative jusqu’à la jouissance finale, Peckinpah travaille aussi une certaine montée progressive (et fuyante) de la violence. Il ne me semble pas aller jusqu’à affirmer que la violence et le sexe sont faits du même bois (peut-être ce que Carpenter a pu faire dans son cours à Santa Barbara ?) mais illustre à tout le moins le fait que les deux phénomènes auraient un fonctionnement similaire. Et il fait bien de ne pas continuer sa métaphore filée parce que le programme qu’il se fixe, le discours qu’il me semble développer sur la violence, est déjà bien suffisant pour un film de deux heures.
Ainsi il fait monter sa violence. Si un des premiers emballements de celle-ci se fera dans la quiétude de pamplemousses balancés à la gueule d’un pauvre chat par le personnage de Dustin Hoffman, l’effet boule-de-neige prendra de plus en plus de poids jusqu’à ce final tantôt terrifiant, tantôt exaltant, qui laissera le spectateur incapable de savoir dans l’immédiat quel mot mettre sur cette sensation qui l’enveloppe lors du générique.
Pourtant ce qui doit retenir l’attention la plus délicate n’est pas que la violence s’emballe mais la modalité de ce conditionnement. Car si en apparence cette modalité suit le schéma « d’une violence l’autre », cela se fait de manière de moins en moins concrète en ce sens où la violence nourrie par une certaine situation éclatera par nécessité dans une toute autre situation sans jamais un rapport si évident entre les deux. S’appuyant dès lors toujours sur les mauvaises marches, l’ascension de la violence devient de plus en plus abstraite. La conséquence perdant sa cause, on ne sait plus précisément à partir de quel élément déclencheur chacun déferlera sa violence. Comme un orgasme qui vient, la violence éclatera là où son porteur se trouvera, Hoffman perdant tout contrôle dans cette phase ascendante malgré quelques violences préméditées dans l'instant (les casseroles, le piège à loup etc). La folie et un certain agitement excitatoire s’immisceront alors pas mal dans l’assaut final (des embardées en tricycles, une musique à plein volume etc) comme pour extraire les dernières gouttes nécessaires à faire déborder le vase.
Dès lors, déjà guidé par les plaisirs sans jamais s’en dépêtrer, l’humain de Peckinpah est guidé par ses violences, qu’il nourrit toujours malgré lui, mais qui finissent par éclater qu’on le veuille ou non. Le dernier échange fait alors plus que sens avec la conséquence de cette indépassable force. En voiture, celui qui était présenté comme l’idiot du village explique qu’il ne sait pas où est sa maison (« i don’t know my way home »). Ce à quoi Hoffman répond le sourire de la folie aux lèvres : « it’s ok, I don’t either ». Son personnage, très cérébral puisque mathématicien (contrairement à celui qu'il a sauvé) exprime alors le même constat. A la différence près qu'il semble parfaitement saisir les choses maintenant. A savoir que ce « chez lui », où la violence ne devrait pas pouvoir pénétrer par définition, ne pourra, dans un nihilisme des plus clairs, jamais exister.
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Créée
le 2 janv. 2022
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