Il est amusant de constater à quel point un titre aussi programmatique puisse résumer toutes les audaces que contient le film, tout en annonçant un désir de coller à une banalité qui pourrait rebuter. Avec Les choses de la vie, Claude Sautet trouve son style et installe la singularité de son cinéma à venir, on ne peut plus français, mais discret, bouleversant mais jamais dans l’emphase.
La déstructuration du récit, commençant par son tragique point de convergence, un accident de voiture, va permettre une lecture d’une finesse imparable sur une histoire somme toute banale, celle d’un couple sur le chemin possible de la rupture. A la lisière de l’expérimental, la narration se déploie en une constellation d’instants qui composent une vie, aux caprices d’une mémoire qui refuse la linéarité en épousant les méandres bien plus retors des sentiments. On pense bien évidemment aux projets de Resnais, Je t’aime je t’aime, qui le précède, et à la radicale expérience que ce sera Mon Oncle d’Amérique en 1980, à la différence près que Sautet se garde toujours d’aller trop loin dans l’audace ou les déclarations d’intentions. Son cinéma a toujours pour propos majeur l’émotion et les parcours d’individu : sa forme se plie à cette injonction, et aussi travaillée soit-elle, elle refuse l’ostentation, s’efface au profit de cet indicible du cœur humain.
Le travail sur le mouvement est ainsi l’une des plus grandes finesses du film : celui, central, de l’accident, récurrent et modulé dans ses vitesses, est le noyau autour duquel s’organise l’écheveau complexe des souvenirs. On le relate, on le voit, on le repasse sous plusieurs angles, au ralenti, tandis que les fragments de la vie qui le précédent l’épaississent d’un sentiment de perte croissant. Car ceux-ci sont la grande force du film, et la colonne vertébrale de la filmographie future de Sautet. La fluidité des regards, l’authenticité des échanges, le jeu exceptionnel de mesure et de vérité de Michel Piccoli, Romy Schneider ou Lea Massari instaurent des séquences mémorables. Pourtant, c’est bien des choses de la vie qu’il s’agit : familles recomposées, croisement des générations, incapacité à dialoguer et décisions à prendre seul ou à deux : nous sommes bien là face au commun des mortels.
Mais par la grâce tragique de la confrontation à la mort, par la justesse de ton et l’équilibre sur le fil de visages habités, Claude Sautet trouve le ton juste : sous son regard bien veillant, les choses de la vie d’individus ordinaires deviennent extraordinaires, et bouleversantes comme nos propres banalités.
(8,5/10)
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