Commençons par l'évidence: conversations un peu rohmériennes où l’écriture se sent (la comparaison s'arrête là), avec des pauses pseudo-dramatiques, des acteurs et actrices qui occupent l’espace comme si ça donnerait plus d’impact à leurs mots empreints de banalité.
Un film qui tend vers une séduisante intemporalité: quand les personnages se réveillent en pleine nuit, ils allument la lumière et regardent l’heure sur leur montre. là où en 2020, tout le monde regarde son téléphone.
Mouret joue sur les niveaux narratifs: une histoire dans une histoire dans une histoire, avec des hasards et connexions par un personnage (bien forcé et un brin incohérent narrativement!) ou un documentaire (petit malaise). Le spectateur est placé entre un réel familier, palpable, banal (parce que tout le monde pense et parle d’amour) et la fiction romanesque. Mais ça bascule souvent dans la lourdeur du romanesque (on est donc loin d'un Rohmer plus pragmatique).
Pour Mouret, « La musique d'un film, c'est l'air que respirent les personnages », j’ai plutôt eu l’impression que c’était l’émotion que devait éprouver le spectateur tant la musique prenait de la place, tant j’avais le sentiment qu’on ne faisait pas confiance au spectateur pour comprendre et ressentir (ou peut-être que c'est à son casting et scénario que Mouret ne faisait pas confiance). Par exemple, la séquence où Daphné et Maxime passent du temps ensemble et que le rapprochement et le trouble se font de plus en plus présent dans un montage déjà bien appuyé: la musique vient tellement grossir le trait qu’elle parasite voire asphyxie la belle chorégraphie du désir des comédiens. J'ai regardé la scène sans le son, et elle fonctionne beaucoup mieux. Chopin, Debussy, Satie, etc. et lors de la scène cliché de la gare, on a carrément le droit à l’Adagio de Barber… Rendu là, épaissir le trait est un pléonasme.
Revenons à ce montage Maxime/Daphné, à coup de "on fait du vélo/on lit dans un cadre idyllique/on s'éclabousse dans la rivière/on caresse des chats/on met la tête de l'autre dans la crème" etc.: cette séquence aurait pu fonctionner et avoir du sens si elle avait été racontée par un des personnages, montrant une version idéalisée, des souvenirs nourris par les clichés du cinéma et de la littérature. Jouer avec les clichés est cohérent quand c'est pour se raconter une histoire, jouer avec sa propre mémoire (on dit parfois "c'était comme dans un film."). Or ici, on est dans le présent de la narration et on ne peut prendre qu'au premier degré ce que le film délivre. Cela vaut aussi pour la scène de la gare. Il aurait été intéressant de jouer sur cette différence de temporalité tant qu'à mettre de gros sabots. Ou alors, est-ce moi qui ne l'ai pas perçu? Faut dire que la musique était tellement forte...
Ce qui permet au film de tenir, ce sont ses 4 acteurs et actrices, je parle des acteurs et actrices, pas des personnages, car côté personnages, on ne touche au sublime qu’avec celui d’Émilie Dequenne, la seule qui n’est pas lâche, la seule qui ment pour préserver les autres avant elle-même. En fait, l’inverse de l’horrible épouse dans le Mon oncle d’Amérique de Resnais. Son personnage parait même aussi idéaliste qu'idéalisée, car contrairement à... genre tout le monde, elle n'est pas guidée par son ego. Le relief que peut avoir le film vient de cet unique personnage.
Au final, Les choses... joue ses variations (peu variables) sur l’infidélité, et la lâcheté qui va avec, car l’infidélité parle de désir avant d’amour, et de comment vivre ce désir: honnêtement ou lâchement. Le film en a conscience, mais ne se montre aucunement cynique (je crois qu'ici, le cynique, c'est moi), il ne juge pas non plus ses personnages, il se montre même bienveillant, évitant de verser dans le moralisme. Il les préserve. Pourtant, il y aurait de quoi les juger à valider ainsi le mensonge. Dans la vie, les gens mentent, jouent avec les mots et les faits à leur avantage. Ici, l'amour semble être une frustration constante en plus de quelque chose qu'on raconte, qu'on se raconte, mais parce qu'on veut désirer, parce qu'on veut aimer, on en oublie à agir sans lâcheté.
Donc, le problème du film, c’est qu’il systématise l’infidélité (il n’y a pas de relation sans infidélité, je crois en avoir compté 8 voire 9) en la rendant purement romanesque, et donc magnifiée, idéalisée. Il n’y a aucune véritable conséquence pour les personnages. Il édulcore comme pour nous flatter, nous conforter, sans rien apporter qu'une envie d'aimer et de désirer. La pire infidélité est même récompensée par le plus bel acte d’amour du film. Dans le fond, le film n’est pas moralisateur, mais immoral.
Les films disent tout et son contraire. Certains apportent plus de questions que de réponses. Il y a ceux qui tendent un miroir, d’autres qui veulent faire ressentir des émotions et la confusion des sentiments. Mouret cherche à faire beaucoup, à déculpabiliser le spectateur en protégeant ses personnages à base de gros romanesque... Dans le fond, je me dis que ça aurait pu être pire. Tout ce qu'on peut faire, c'est faire mieux que les personnages.