Alors c’est truc qui aime machine mais qui aime bidule, alors truc part oublier ça en week-end et rencontre machine 2, la copine de son cousin tartempion qui sortait avant avec machine 3, et en fait truc et machine 2 vont progressivement tomber amoureux l’un de l’autre alors que bidule aime aussi machine 4 tout en aimant encore machine 2, et que machine 3 fait croire à tartempion qu’elle ne l’aime plus alors que si, toujours. On s’interroge, on tergiverse, on batifole et on doute. On doute, voilà, c’est ça, c’est Le doutage, rappelez-vous. On est en plein dedans. Emmanuel Mouret a dû s’en rendre compte, pourquoi il ne s’en est pas rendu compte qu’il était en train de mettre en scène la caricature même d’un certain cinéma, disons galant, s’éboulant sous sa propre insubstance, ses propres stéréotypes ?
Variations molles autour du sentiment amoureux et du réflexe de coucherie, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait prête plus souvent à rire (ou à agacer), face à tant de pompe verbeuse, qu’à enthousiasmer. Pendant deux heures, les personnages n’évoluent pas, ou peu, ne sont que des idées de personnages aux histoires quasi interchangeables débitant des tirades se résumant invariablement à des "Que je t’aimasse peut-être au-delà de toi sans que tu l’eusses su mais le savais-je moi-même ?" ou des "Je ne t’aimerai plus sans doute parce que je voulusse que tu m’aimasses quand tu ne me désirais plus, jadis" et des "Je veux faire l’amour avec toi, mais alors me désireras-tu encore une fois que j’eusse joui ?".
Pourquoi ce genre de dialogues, pléthoriques, affectés et très écrits, fonctionnent et éblouissent chez Rohmer, auquel on pense obligatoirement (d’autant que le film évoque ce "désir mimétique" élaboré par René Girard), mais pas une seule seconde ici ? Pourquoi c’est beau par exemple chez Arnaud Desplechin dans Trois souvenirs de ma jeunesse, et complètement indigeste ici ? Qu’est-ce qui ne passe pas ? Mystère. Ou bien parce que chacun·e ressentira, vivra le film à sa manière ou le rejettera, y trouvera quelque-chose qui lui parle, quelque-chose qui lui est intime. Ou parce qu’il y a une humilité chez Rohmer qu’on ne retrouve pas ici, mais plutôt l’impression d’une écriture fate, qui se sait briller. Ou sont-ce les interprètes qui ne parviennent à incarner ces dialogues et parce qu’il faudrait, supposition (ou pure ânerie), un ton, un phrasé singulier, une voix (qu’on nous rende Quentin Dolmaire, qu’on nous mette du Luchini), pour que soudain ça vibre, pour que les mots vibrent, pour que ça touche, ça subjugue ?
Ça tiendrait presque de l’évidence : Niels Schneider joue l’éconduit et l’ingénu avec la consistance d’un ectoplasme, Jenna Thiam est insupportable quand elle discourt avec sa petite mine de grande mondaine, et Vincent Macaigne et Guillaume Gouix semblent rarement concernés par ce qu’ils sont censés exprimer. Il n’y a bien que Camélia Jordana et surtout Émilie Dequenne, magnifique en femme blessée mais digne, qui savent nous émouvoir par instants. Et puis qu’est-ce qui a pris Mouret de littéralement noyer son film sous un déluge, que dis-je, un dégueulis de musique classique qui, c'est un comble, finit par nous faire détester Haydn, Chopin, Debussy, Schubert, Vivaldi, Mozart, Tchaikovsky, Puccini et Satie ?
Cette ode à l’inconstance où les personnages parlent, dissertent et se souviennent (ces choses qu’on dit), puis s’embrassent, se désirent et se tournent autour (ces choses qu’on fait) en cherchant à ne corrompre leur parole à travers leurs actes et leurs caprices, n’a in fine que la prétention d’un mauvais vaudeville se donnant des airs de badinage spirituel. Moralité de l’histoire : plutôt que de se farcir deux heures de Mouret en mode subjonctif plus-que-parfait qui chercherait à imiter Rohmer et Rivette avec, en fond sonore, sa playlist Deezer spéciale musique classique, voir et revoir Le doutage ou le Tu peux pas comprendre des Inconnus. C’est la même chose en plus drôle, en moins long et en moins prétentieux.
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)