Los colonos forme avec Godland (Hlynur Pálmason, Islande, 2022) et La Légende du Roi Crabe (Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, Italie, 2021) une facette étonnante du panorama cinématographique contemporain, encline à détailler le parcours de paysages grandioses par des hommes qui ne savent pas toujours réellement pourquoi ils le font, ornée de mises en scène qui flattent l'œil par leurs photographies iconoclastes et hypnotisantes. Il y avait respectivement le trajet d'un jeune prêtre danois perdu au milieu de sa mission d'évangélisation dans les contrées islandaises du XIXe siècle, des chercheurs d'or cupides à la recherche d'un trésor à l'extrême sud de l'Argentine, et dans le cas présent, l'exploration d'un territoire voisin sur cette Terre de Feu mais du côté chilien : des soldats au début du XXe siècle chargés par un riche propriétaire terrien d'ouvrir une route vers l'océan Atlantique et pour ce faire, de massacrer les autochtones croisés en chemin.
Il s'agit en l'occurrence d'un récit de l'extermination des Selknam, entre la fin XIXe et le début XXe siècle, un peuple amérindien qui habitaient la grande île de la Terre de Feu. Felipe Gálvez, aux côtés de son chef opérateur Simone D'Arcangelo (qui officia également sur La Légende du Roi Crabe, il n'y a pas de hasard), explore ces immenses territoires dans une beauté austère et témoigne une volonté voisine de Godland, à savoir montrer sous un angle nouveau la mission dite civilisatrice de l'aristocratie occidentale du siècle passé. C'est ainsi qu'un soldat britannique, auquel se joignent un mercenaire américain et un métis chilien, se trouvent en charge de déposséder les locaux de leurs terres.
L'association paysages magnifiques / brutalité des hommes est en revanche un peu trop maladroitement mise en avant à mes yeux, ponctuellement, se traduisant de temps à autres par des passages gratuitement gores (le coup du démembrement / mise à mort en introduction est vraiment grotesque), avant-goût d'un des gros défauts du film : la forme phagocyte lentement mais sûrement le fond. Il me semble que Les Colons reste malgré tout intéressant pour cette image qu'il renvoie des différents groupes de conquérants qui se croisent et se toisent. La dernière partie amorce un recul qui aurait mérité un plus large développement, sur le thème "la laine souillée de sang perd toute valeur", c'est-à-dire la question de la mémoire et de l'écriture d'une nouvelle page dans l'histoire nationale du Chili, vis-à-vis des massacres perpétrés au nom de ce qui précédait la notion d'état.
https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Colons-de-Felipe-Galvez-2023