À perte de vue, des paysages grandioses dont il se dégage une beauté rugueuse, ancestrale même, où quelques ouvriers travaillent à planter des clôtures pour y délimiter les parcelles. Ce sont ces territoires immenses et fertiles, au sud du Chili, cette Terre de Feu comme on l’appelle, que les colons blancs cherchent à posséder, et à exploiter évidemment. Nous sommes en 1901, et les autochtones indiens Selk’nam y sont pourchassés et tués pour permettre l’appropriation de leurs terres (et l’anéantissement de leur culture). C’est ce pan terrible, caché, expurgé de l’histoire officielle chilienne, que Felipe Gálvez évoque frontalement à travers le récit, en deux temps et deux spatialités (extérieur puis intérieur), de cette barbarie coloniale impunie, d’abord par les actions et les gestes, ensuite par les mots et dans la parole.

Le récit adopte différents points de vue permettant une appréhension multiple des événements : on passera ainsi d’un lieutenant de l’armée britannique à un mercenaire texan, d’un propriétaire terrien à un représentant de l’État et des Indiens impuissants. Chacun avec ses convictions, ses choix à faire, ses responsabilités, son regard sur cette violence étatique légitimée. Et le film de commencer telle une promesse : promesse de souffle épique (et esthétique) face à cette nature sauvage déployée à l’infini, d’insolite avec cette musique créant un étonnant décalage, de choc enfin avec cette prise de conscience d’une folie génocidaire (tueries de masse, amputations, viols…) qui s’instaure et s’impose sous nos yeux.

Las. Cette promesse va, rapidement, s’avérer simple illusion. Déjà parce que tout paraît se désincarner à vue d’œil : les personnages sont raides, creux, chacun hyper caractérisé, et le rythme apathique. Ensuite parce que la forme finit par s’imposer sur le fond. Et ce que l’on trouvait alors si singulier de devenir afféteries tout à coup, prétentieux à la limite : musique mal adaptée, ostensiblement à contre-courant, mise en scène figée dans un radicalisme arty qui ennuie (on dirait du Haneke parti filmer en Patagonie). Le propos perd ainsi de sa consistance, de sa pertinence (naissance d’une nation par la force et sur un tas de cadavres), dilué dans un dispositif filmique multipliant les effets de style, et malgré une dernière scène glaçante qui, par ce qu’elle dit et sa façon de le dire (une incongrue cérémonie du thé virant à la démonstration aliénante), impressionne davantage que le film en entier.

Article sur SEUIL CRITIQUE(S)

mymp
5
Écrit par

Créée

le 26 déc. 2023

Critique lue 173 fois

6 j'aime

mymp

Écrit par

Critique lue 173 fois

6

D'autres avis sur Les Colons

Les Colons
Selenie
5

Critique de Les Colons par Selenie

Des paysages nus et sauvages et trois tueurs partent donc en périple meurtrier dont on comprend mal le but réel et précis, qui crée encore un décalage avec une musique abrutissante qui serait sans...

le 22 déc. 2023

13 j'aime

2

Les Colons
Fleming
7

Nettoyage ethnique en Terre de Feu, le baptême de sang du Chili d'aujourd'hui

D'un point de vue formel, le film est, je trouve, superbement photographié par Simone d'Arcangelo. En adéquation avec le contenu relativement sombre de Les Colons, beaucoup de clairs obscurs, mais...

le 16 janv. 2024

11 j'aime

Les Colons
EricDebarnot
8

Naissance d'une nation...

On a si peu vu la Patagonie, la Terre de Feu au cinéma que, même si les Colons n’était pas le film passionnant qu’il est, on ne pourrait que recommander à tous ceux que notre planète intéresse...

le 21 déc. 2023

11 j'aime

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

182 j'aime

3

Gravity
mymp
4

En quête d'(h)auteur

Un jour c’est promis, j’arrêterai de me faire avoir par ces films ultra attendus qui vous promettent du rêve pour finalement vous ramener plus bas que terre. Il ne s’agit pas ici de nier ou de...

Par

le 19 oct. 2013

180 j'aime

43

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

162 j'aime

25