"Mon dieu, pourquoi m'as tu abandonné ?" C'est par ces mots, prononcés également par le Christ durant la "Passion" que le pasteur Tomas Ericsson (allégorie du père du réalisateur, également pasteur, et représentation du réalisateur lui-même en un sens) prend véritablement conscience de la perte de la foi qu'il avait en Dieu, et qui le maintenait en vie jusqu'à présent. La dernière scène est en ce sens significative, l'office se fait dans une salle déserte, et les yeux vides du pasteur trahissent le sentiment que l'âme n'y est plus, la messe est dite. Le "renoncement" est brillamment mis en scène, symbolisé par une sorte d'errance initiatique en huis-clos au cours de laquelle le pasteur va auprès des différents individus (les communiants) qui composent sa paroisse et au gré de conversations éparses prendre la mesure du vide qui sépare le terrestre du divin, avant de constater l'absurdité de sa situation d'homme de foi dans un monde ou Dieu a non seulement déserté le cœur des Hommes, mais surtout son propre cœur à lui.
Les résonances avec A travers le miroir sont nombreuses, et comme le réalisateur le dira lui-même a posteriori, A travers le miroir marquait "la dissolution totale de toute notion du salut dans un autre monde et son remplacement par le sentiment d'une sainteté à trouver en l'homme". Cette "sainteté", c'est celle de l'amour, seule réalité capable de rendre aux individus la plénitude de leur humanité. On a donc cette fusion entre Dieu et l'amour qu'évoquait le père de Karin dans A travers le miroir, et également l'allusion au "Dieu-araignée" cette créature qui symbolise la foi dans sa forme la plus extravertie et pervertie, "à la lumière du jour" en opposition à une foi plus pieuse et intérieure. En ces conditions, si il n'y a pas d'amour comment peut il y avoir un Dieu ? La réponse - celle du film en tout cas -, c'est la pauvre Märtha qui la donne: "Dieu se tait. Il n'a jamais parlé parce qu'il n'existe pas." et elle semble également enfin trouvée pour Bergman dans ce qui est sans doute son film le plus intimiste, l'un des plus beaux (une beauté également formelle assurée par Sven Nykvist qui signe ici un noir et blanc somptueux) et touchants assurément.
(Je ne suis pas étonné de lire que c'était son préféré parmi toutes ses réalisations d'ailleurs, et également l'un des films préférés de Tarkovski qui aura probablement su y trouver un écho réconfortant à ses propres questionnements et obsessions intérieures, lesquels transparaissent de manière assez similaire dans son cinéma)