Genre malheureusement disparu, mais très moderne par son format court, son histoire ramassée et sa chute rappelant la nouvelle en littérature, le film à sketch, très prisé dans les années 60, en Italie principalement, demeure selon nous plus noble que les séries (par ailleurs parfois très bonnes), obtenant l’adhésion du spectateur en créant chez lui une addiction avouée. Ainsi dans Les complexés, chaque sketch, tourné par un réalisateur différent, est indépendant des autres ; néanmoins, une unité de thème et de ton en assure la cohérence. En l’occurrence, à rebours de Le bambole où quatre personnages féminins souffraient plus ou moins de névrose, nous avons ici trois hommes hautement complexés : le grand timide, l’ultra-perfectionniste et l’hypocrite.
Le premier personnage, Raganelli, joué par un excellent Nino Manfredi, pâtit donc d’une timidité maladive dont il fera preuve au cours d’une sortie avec ses collègues organisée par l’entreprise, où il essaiera de se rapprocher de celle à qui il voue un amour secret. Cependant, l’homme timoré alignera les gaffes sous le regard compatissant de la splendide Gabriella qui daigne d’abord l’accepter comme il est avant de lui faire comprendre qu’il n’est pas un homme. Dino Risi, cinéaste majeur, signe encore un petit bijou de mise en scène, avec d’excellents dialogues, une finesse d’écriture trop rare de nos jours, une remarquable capacité à embrasser la complexité de la psychologie des personnages, un humour humain et jamais trop moqueur et des situations très inspirées, se servant par ailleurs comme souvent d’une paire de personnages pour proposer une immersion dans le monde actuel.
L’ultra-perfectionniste du second sketch réalisé par Rossi, le très bon Ugo Tognazzi, devient trop risible et redondant dans son action, si bien que ce sketch perd en grâce, en finesse et en verve humoristique en comparaison avec le précédent.
Enfin l’hypocrite du dernier sketch, ou plutôt les hypocrites, représentant une faiblesse typiquement italienne (parfois une force, une forme de politesse atténuant certains comportements pouvant être perçus comme trop rudes), celle de ne pas vouloir dire les choses telles qu’elles sont, d’éviter la franchise, afin de préserver l’autre d’une réaction désobligée, subiront par effet contraire un complexe d’infériorité que devrait causer, dans un monde où l’apparence est reine, un trop visible défaut physique. Avec un scénario co-écrit par lui-même lui permettant de mieux se desservir, Alberto Sordi est tout simplement génial en dentone (grosses dents/dents longues/dentition chevaline). Sa prestation époustouflante porte le sketch, ses répliques soulèvent un rire franc et sa course contre l’adversité est jubilatoire. Un magnifique condensé de comédie italienne.
Un film encore totalement d'actualité.