Pas facile de passer après Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1978) ou Voyage au bout de l’enfer (Michael Cimino, 1978)… Bien-sûr, ce n’est pas totalement l’ambition de son auteur, Guillaume Nicloux, mais voir un film français se concentrant sur la perdition d’un soldat au cœur de la guerre d’Indochine, le tout à la Quinzaine des réalisateurs, constitue une suffisante surprise pour qu’on s’y attarde dans nos colonnes. Confirmant la cohérence certaine d’une œuvre, même dans ses ratages, Les confins du monde s’impose comme une âpre, étrange, mais belle réussite.


On sait que Guillaume Nicloux est intéressé par le cinéma de genre. Il a commencé sa carrière dans le film noir, avec notamment une trilogie policière composée des inégaux Une affaire privée (2002), Cette femme-là (2003), La Clef (2007). Depuis quelques années, il semble s’intéresser de plus en plus au fantastique, preuves en sont ses deux premières aventures Depardiesques : le beau Valley of Love (2015) mais aussi et surtout The End (2016) qui voyait Gégé se perdre dans la forêt parmi des personnages étranges, peut-être des fantômes. Pour la première fois, il s’essaie au film de guerre, sans pour autant s’éloigner de ces dernières obsessions. La construction elliptique du film, son rythme étrange, accompagné de la musique hypnotique composée par Shannon Wright, lui donnent une sorte d’étrangeté lugubre qui pourrait avoir à faire quelque part au cinéma d’horreur, ou en tous cas à un cinéma convoquant des fantômes. D’ailleurs, Nicloux ne cache jamais l’horreur de la période qu’il filme, et notamment la violence que les corps subissent. Se succèdent à l’écran des corps morts ayant subits les pires sévices, tandis que les corps des vivants affrontent la fournaise, et la dure moiteur de la jungle qui les entoure. Toute l’équipe est allée tourner dans le sud du Vietnam, et on sent à quel point le cinéaste a cherché à se laisser imprégner par le mystère et la force de son décor, mais aussi à faire vivre à son équipe et ses comédiens une véritable aventure, une expérience extrême quelque part assimilable, toute proportion gardée, à celle que les soldats de l’époque ont dû subir.


Sans plus insister sur cette difficulté physique qu’ont dû affronter les comédiens, il faut souligner à quel point ils sont remarquables. Ulliel, anciennement réductible à sa belle gueule dans le cinéma français, se révèle depuis quelques années l’un des interprètes les plus impliqués et talentueux de sa génération. Il est encore très bon ici, dans un registre sans fioritures, parfois très ferme et dur. Il est bien épaulé par Guillaume Gouix dont le personnage tortueux et souvent surprenant est sans doute l’un des plus incarnés du film. Enfin, Depardieu qui rythme le film par ses apparitions au début, au milieu et à la fin, est comme toujours impérial, et Nicloux se révèle le plus inspiré des cinéastes à savoir filmer ce visage imprégné de tout un pan de l’histoire du cinéma et de toute une histoire personnelle qui nous hante tous, mais aussi à placer ce corps immense, énorme, gigantesque, dans le cadre. La tristesse du visage de Depardieu, tout imprégné des drames de son existence – avec en premier lieu la mort de son fils, le génial Guillaume Depardieu – apporte beaucoup au film, encore plus quand son personnage, ou lui – avec un tel acteur, quelle différence ? – évoque la culpabilité qu’il a de rester vivant quand il a vu et laisser mourir les siens. C’est dans ces moments-là, et dans un dernier mouvement très émouvant, que le film dévoile son véritable sujet, celui qui hante le cinéaste depuis presque toujours, mais plus directement et fortement dans ses derniers films : le deuil.


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PjeraZana
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le 3 juin 2018

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