François Damiens dans un film qui s’intitule “les cowboys”, où il incarne un père de famille fan de country dans les années 90.
Voilà une base qui donne envie. Envie de fuir bien loin.
Sauf que ça se passe en France, que ça n’est pas drôle, et que la country ne vient pas nous embêter plus que ça.
Mouai ça ne devient pas beaucoup plus tentant.
Sauf que François Damiens est excellent en père courage qui va se donner à fond pour retrouver sa fille, pour saisir le moindre fil aussi ténu soit-il et pour pister la moindre parcelle d’info, parce que c’est un père et que sa fille ne peut pas lui échapper comme ça.
Hum hum un peu léger, toujours pas emballant.
Sauf que c’est tellement bien raconté que même ce combat du père n’est jamais lourdingue, qu’on comprend bien tout ce qui pourrait évoquer le beauf et pourtant on décèle beaucoup de tendresse et de poésie dans ces années 90.
Faire rimer country et poésie? Là ça commence à avoir un petit peu d’attrait.
Alors, si en plus le film est bardé de qualités, il n’y a plus à réfléchir, il faut y aller.
Parce que “Les cowboys” est un film qui vient nous chercher et nous surprendre (déjà ça fait très bizarre d’écrire “les cowboys est”, première surprise!)
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La vraie découverte, c’est ce scénario qui sort de l’ordinaire.
Il y a sans doute de nombreuses façons de raconter la même histoire, mais on a fini par se faire une raison et connaitre certains rouages, certaines ficelles.
Rien de tout ça ici: derrière une affiche et un synopsis attendus on est heureux de découvrir qu’il y a encore beaucoup à apprendre, et qu’on aurait tort de se fier à cette simple phrase du père “prêt à tout pour retrouver sa fille”. C’est pas faux, il est effectivement jusqu’au boutiste, mais ce n’est qu’une petite partie du récit qui se dévoile peu à peu.
La narration elle-même est intéressante: le spectateur est invité à prendre part au film, à sortir de sa passivité. Le réalisateur joue avec le temps.
Pas à la manière ludique d’un “retour vers le futur” ou scolaire d’un “un jour”, non ici le temps est un personnage du film qui ne dit pas son nom.
On peut dater certains évènements avec les indices laissés ça et là, on identifie bien les années 90, et puis au détour d’une conversation, d’un gamin qui grandi, qui se met à conduire, de photos, on comprend ce qu’on a loupé, on essaie de calculer, de trouver où on en est, depuis combien de temps on est là.
Ce qui pourrait nous perdre dans un premier temps devient vite un jeu, et on est satisfait quand le réalisateur vient déposer quelques cailloux sur notre route pour nous aider, et reconnaissant de la confiance qu’il a en notre capacité à manger autre chose que du prémâché.
Au final on pourrait croire que cette histoire merveilleuse de temps n’est pas très importante, et pourtant c’est grâce à elle qu’on mesure le choc de la disparition, son importance. En étant un peu perdu par moment, un peu dans le flou, on imagine l’état d’esprit de cette famille qui vit ça au quotidien.
Parce que le sujet du film est aussi un élément qu’on découvre au fur et à mesure: on pense voir une histoire un peu lourde d’un père qui cherche sa fille et on se retrouve avec une sorte de chronique d’une famille éclatée, d’une cellule qui se désagrège quand un de ses éléments se fait la malle.
Tel Némo le poisson clown qu’on voit peu dans “le monde de Némo” (on notera mes grandes références-ciné), Kelly est au centre de tout sans qu’on la connaisse vraiment.
Avons-nous besoin de la connaitre d’ailleurs? On comprend l’attachement de sa famille, on comprend l’impact de son départ, on comprend que chacun trimballe son malheur et l’extériorise à sa façon. En savoir plus aurait sans doute brisé l’équilibre. Laisser quelques éléments en suspens permet à chacun de se créer son histoire. Même là Bidegain nous laisser bosser.
Comme des poupées russes, on se rend compte petit à petit que la quête pour retrouver kelly va aller loin, très loin, et frôler l’actualité. On craint de basculer dans un autre univers, mais les cowboys sont habiles sur leurs chevaux et évitent les écueils. En évoquant beaucoup et en expliquant peu, le réalisateur permet de contextualiser son film sans se poser en donneur de leçon, de rester en retrait, une position salvatrice en ces jours d’émotion exacerbée.
Le personnage de François Damiens en 94 travaille en aveugle, sans idée de ce que peut être le Jihad, sans imaginer jusqu’où peut mener un endoctrinement, jusqu’à quel point il a perdu la fille qu’il a vue grandir.
Un sujet bien actuel pour certaines familles, à la différence près qu’aujourd’hui on sait jusqu’où l’endoctrinement peut mener.
Bidegain évite les explications préfabriquées et les raccourcis faciles en préférant un silence bienvenu: on ne sait pas pourquoi Kelly se sauve, on imagine plus facilement une crise d’ado poussée à l’extrême, des parents qui n’ont pas réussi à anticiper le pire, une crise familiale qui ressemble à tellement d’autres. Dans la plupart des cas les ados se contentent de “petits fugues”, mais parfois ça va plus loin.
Un film délicat, qui commence bien loin de nous pour s’achever en plein dans l’actualité.
J’ignore s’il aurait eu le même effet sur moi si je l’avais vu avant le 13 novembre, mais maintenant il vient rappeler que la situation actuelle couve depuis longtemps, que ces jeunes qui optent pour des idées radicales blessent sans doute du monde bien avant de parler d’attentats ou d’autres barbaries, qu’on peut aller très loin pour sa famille, qu’on peut même la détruire en voulant la sauver, qu’on ne comprend jamais les gens qui nous entourent.
Le début peut faire un peu peur, on n'échappe pas à certaines longueurs mais il y a beaucoup de choses dans ce film, et beaucoup de bonnes choses: la musique, la photo, le rythme, et les acteurs (François Damiens évidemment méconnaissable, mais aussi et surtout Finnegan Oldfield magistral dans l’évolution de son personnage).
On pourrait en parler des heures, le réalisateur lui-même n’est pas avare de paroles, et on le comprend parce qu’il livre là un beau colis, loin bien loin du petit film que gentils américains contre les méchants indiens pourtant annoncé par le titre.
Merci pour ce film, et merci pour cette sensibilité.
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