Un film coup de poing (avec des gants matelassés)

Le sujet paraît d’actualité et pourtant la pièce est jouée en 1994. Les Cowboys, premier film de Thomas Bidegain se propose de raconter la violence ordinaire d’une jeunesse en perdition qui trouve en l’islamisme une échappatoire salutaire. Mais avoir un bon sujet ne suffit pas à rendre une copie sans faute.


Les Cowboys critiqueLe scénariste historique du grand Jacques Audiard (Un Prophète, De Rouille et d’Os) n’a pas fini de nous raconter des histoires. L’homme excelle dans le drame à la lame fine et bien aiguisée. Le pathos ne fait pas partie de son mode opératoire.


C’est peu dire que les attentes étaient hautes pour ce premier film. Jouissant à la fois d’une identité forte, d’une tête d’affiche fédératrice (François Damiens, dont l’avenir dans ce registre est assuré) et d’un sujet qui passionne tout le monde (le péril islamiste), Les Cowboys et son tiercé gagnant ne pouvaient rater leur cible. Et pourtant… pourtant le constat est plus mitigés. La presse est unanime et les cinéphiles restent sur leur faim. Film d’auteur qui tente de s’approprier un public qui n’est pas le sien, ou au contraire métrage grand public qui se donne de grands airs histoire de briller à Cannes ?



Le péril jeune



Incarné par un François Damiens au sérieux exemplaire, Alain Balland est père de George « Kid » et de Kelly. Vous l’aurez deviné, la famille tient l’Amérique en haute estime. Aussi quand la fille aînée disparaît soudainement en plein festival country un soir d’automne 1994, le choc est double. Elle est partie avec Ahmed, son petit ami, lui apprennent des copines d’écoles qui n’en sont plus tout à fait.


L’islamisme radical n’a pas attendu Daech pour attirer les plus jeunes dans ses filets. Aussi Kelly trouvera dans cette culture traditionnellement opposée à l’illustre contrée que vénèrent ses parents un motif d’émancipation d’une force dévastatrice. Comme un coup d’ongle sur un pion, les victimes de cette fugue tomberont chacun leur tour dans un abîme duquel ils ne remonteront jamais.


Le métrage excelle dans son numéro d’équilibriste. Assez touchy, le sujet ne se limite finalement qu’à une toile de fond. L’islamisme n’est pas la question. La fille aurait pu s’enfuir avec un corse que la quête du père s’en trouverait inchangée. C’est davantage d’ego qu’il est question ici. Celui d’un pater, pour qui la figure du mâle est centrale dans l’organigramme familial. Comment accepter que la chair de sa chair prenne la poudre d’escampette sans son autorisation ? Comment supporter une épouse pour qui la perte de sa fille ne procure davantage d’émotions que quelques larmes coulant sur les joues ?



Les bassesses de l’auteur



Avec son air patibulaire, son accent belge qui n’a plus rien de drôle et son port fier du Stetson, François Damiens joue ici la carte imparable qu’a jouée Omar Sy en 2011 avec Intouchables. À aucun moment on ne remet en doute le potentiel dramatique de l’acteur ucclois. Et pourtant, tout miser sur son seul personnage serait porter bien peu d’attention à l’homme avec qui il partage l’affiche : Finnegan Oldfield est la vraie révélation des Cowboys. Sa gueule d’ange déchu et la justesse de son jeu dans les scènes les plus authentiques du métrage de Bidegain est exemplaire.


Malgré un casting des plus ardents, Les Cowboys ne fait pas feu de tout bois. C’est peut-être là la limite de Thomas Bidegain, qui pour le coup n’a pas le talent de Audiard dans la direction d’acteur. En résultent quelques scènes qui font montre d’un équilibrisme tout autre : sur le fil entre la gêne et le ridicule. Il n’y a guère que dans le cinéma français que l’on voit des acteurs se prendre d’une envie de crier de douleur en pendant son linge.


Pis, la narration s’avère balbutiante à bien des égards. Le virage a 180° opéré à mi-course est aussi surprenant que malvenu. La pointe de crème qui parvenait à nous rendre la soupe un peu moins aigre se dilue finalement dans son objet. Ce qui laissera tout de même une bonne heure au spectateur pour se demander ce qu’il est en train de regarder. Comme s’il avait épuisé tous les petits papiers de sa boîte à idées, Thomas Bidegain accompagne malgré tout son histoire vers la sortie. En la prenant très grossièrement par la main.


Pseudo film coup de poing, Les Cowboys de Thomas Bidegain restera davantage dans les mémoires comme le film qui révéla Finnegan Oldfield, et ouvrit les portes du Drame à François Damiens que pour son objet. Parti d'une idée qui aurait pu aller très loin, les espoirs d'être émerveillés par la fable que nous raconte l'auteur s'évaporent à mesure que Kelly s'éloigne de sa famille. Les grands paysages et la réalisation léchée n'auront pas raison d'une narration qui ne tient pas debout. Une belle proposition néanmoins.


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le 1 déc. 2015

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