[Mouchoir #56]
Les Croix de bois n'est ni vraiment mauvais ni raté. C'est une œuvre étrange qui colle au contexte du début du parlant, mais pas à ce qu'on attend d'un film de guerre de l'époque. Et c'est, pour le dire crûment, un film creux à l'image écrasante. Je veux dire qu'il ne s'y passe pas grand chose et qu'on n'y joue pas très bien, mais qu'au cadre et à la lumière, on a rarement vu la Première Guerre mondiale tabasser comme ça la rétine (de la caméra portée en 1932 pardon ?).
On ne le répétera jamais assez, mais l'arrivée du son a ralenti le récit cinématographique, son potentiel d'action, et la parole le potentiel du montage. Le film de Raymond Bernard n'y échappe pas. Les longueurs s'accumulent, tout le monde joue comme par détonation, en retard, en réaction, comme sonné par les bombes. Alors ça donne un style, comme si la guerre de position engourdissait tous les sens et expressions. Mais l'effet bénéfique ne tient malheureusement pas sur la longueur du film ; on reste des spectareurices en quête d'un peu plus que cela.
Pourtant, le récit a le mérite de suivre ce même flottement où rien ne se passe, ou plutôt où il n'y a presque que des temps morts, littéralement. On attend que les personnages meurent l'un après l'autre. La question n'est pas de savoir comment, mais plutôt quand ? Car il n'y a ici aucun véritable héroïsme, aucun attaquant à proprement parler, aucune position claire dont il faudrait s'emparer. Les soldats subissent et la nuit brouille les perceptions, relance constamment le duo agresseurs/agressés, le champ/contrechamp (les faux raccords en attestent) ; qui est qui ?
Et dans tout ce merdier des images surimpressionnées dignes d'un Gance — rendant même dès les premières secondes hommage à son J'accuse (1919) —, mais à la portée comme rivée par terre, qui ne plane pas, ne transcende pas, malgré tous ces soldats fantômes montant au ciel à plusieurs reprises. Juste de quoi brûler la rétine mais pas le cœur, rejetant tout patriotisme, tout héroïsme, toute poétique romantique, et dont les meilleures séquences sont sûrement celles de batailles puisque c'est pour celle-ci que de telles images semblent avoir été créées. Pour la terre qui jaillit, les canons qui battent en rythme, la caméra libérée devenue soldat dans les tranchées, les hommes repeints en ombres pour leur ôter la parole, tout ce qui peut dynami(t/s)er le récit et le silence, amené par le début du parlant, qui y planait jusque-là. Pour qu'à nouveau ce soit l'image qui parle, cinéma muet, toujours.
3,5.