Elles sont cinq. Cinq « dames » de l’Helvétie francophone, vivant solitairement dans de belles maisons ou de coquets appartements. Cinq dames sexagénaires, qui ont eu un ou des hommes dans leur vie et qui ne désespèrent pas d’en voir revenir un, qui leur conviendrait et qui les délivrerait de la respectabilité intouchable, voire invisible, de la « dame », pour réveiller en elle leur statut et leur corps de femme. Un beau lien de confiance s’étant établi avec les deux réalisatrices, déjà accoutumées à collaborer, Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, et avec une équipe technique très légère, ces dames se livrent sans fard, accompagnées dans leurs activités domestiques ou extérieures, et s’adressant à la caméra comme elles se parleraient à elles-mêmes, ou à une amie très intime.
L’entreprise scopique accède ainsi à l’invisible, à l’inavoué, aux rêves, aux sensations les plus enfouies. Marion et Pierrette sont veuves, et leur mari fut aussi leur seul amant. Marion tire parti de sa carrure pour s’adonner au théâtre amateur et y endosser bravement des rôles d’hommes. Pierrette, dont l’époux était pasteur, vit encore avec l’ombre de son mari et continue à accorder une place centrale à la musique, pratiquée au violon dans divers ensembles ou enseignée à de jeunes flûtistes. Odile, Noëlle et Carmen sont divorcées de plus ou moins longue date, avec ou sans enfants. Exerçant encore avec passion la physiothérapie, Odile vit avec cinq animaux, dont un perroquet très attentif, et consacre ses loisirs à la nature et à la faune, qu’elle recueille dans son objectif photographique ; un exercice qu’elle rapproche du tir au pistolet, qu’elle pratique par ailleurs. Noëlle, très féministe, reconnaît avoir mieux réussi son parcours professionnel que sa vie amoureuse. Quant à Carmen, dans son appartement de poupée, elle nourrit ses rêves et œuvre à vaincre ses phobies, tout en s’investissant, à l’extérieur, dans diverses activités, bénévoles ou de loisir.
Toutes sont escortées par la caméra très sensible de Joseph Areddy sur une année, d’un Noël à l’autre. Une année qui suffit à mesurer le chemin parcouru, que ce soit dans l’accession émerveillé au statut de grand-mère, dans le déblaiement d’un bureau que l’on aurait pu craindre intouchable, dans la reconnaissance apportée par une exposition de ses travaux, dans la domination et le dépassement de ses peurs... Ou même - l’inespéré, mais attendu ou du moins confusément rêvé par toutes - dans la découverte d’un nouvel amour, voire d’un épanouissement physique jusqu’alors inconnu.
Dans la belle lumière helvète, si intense, portée par le reflet des lacs ou de la neige, « Les Dames » est une œuvre infiniment délicate et optimiste, traversée d’humour et gonflée de vie, d’autant plus chargée de présent que les protagonistes sont conscientes de l’amenuisement du « temps qui reste »...