Les Demoiselles de Rochefort par Frankoix
Les années n'ont pas été tendres avec la comédie musicale de Jacques Demy et Michel Legrand. « Les Demoiselles de Rochefort » fait partie de ces films que la nostalgie embellit d'un vernis mythique et élogieux et qui, une fois revus, laissent un sentiment de déception tenace.
La conception même du film implique une réelle ambition artistique, mais la concrétisation de la vision du réalisateur n'est pas à la hauteur : les chorégraphies sont enlevées et aériennes, mais elles ne sont jamais mises en valeur par la caméra de Demy. La ville de Rochefort a été transformée pour exprimer une joie de vivre générale : les rues sont saturées de couleurs pastel, coordonnées aux costumes des habitants ; détail parmi d'autres, les bouches d'incendies ont été peintes en mauve et en rose. Le quotidien est touché par un bonheur idéalisé et séduisant...le film devient hélas, à ces instants, une parodie de lui-même, en raison d'une confusion permanente entre légèreté et artifice, entre émotion et affectation, entre l'illusoire et le factice. Le spectateur n'est pas plongé au cœur de la cité, il reste à distance.
La séquence de la kermesse prête à sourire, et pas pour les bonnes raisons. Demy nous inflige tour à tour un match de basket dansé (!), une chorale d'enfants insupportable, et une danse entre George Chakiris et une moto Honda (!!) qui laissent sans voix.
Le film souffre d'un manque de maîtrise embarrassant : à une postsynchronisation désastreuse (les acteurs non francophones George Chakiris et Grover Dale, ayant appris phonétiquement leurs textes et doublés en français, ressemblent à des statues de cire douées de parole), s'ajoute un jeu d'acteurs hétérogène et approximatif : Catherine Deneuve est inexpressive, Michel Piccoli ne semble pas très à son aise, Jacques Riberolles est sinistre et Gene Kelly fait ce qu'il peut pour sauver les scènes dans lesquelles il apparaît. Seuls Jacques Perrin et Danielle Darrieux apportent de la vie à leurs personnages : le Maxence incarné par Perrin aurait pu être ridicule et ennuyeux, mais l'acteur lui offre une grande sincérité et une douceur remarquable. Il s'agit peut-être du personnage le plus poétique jamais créé par Demy.
Demy a écrit un très beau scénario (les personnages se croisent ou passent leur temps à se manquer de peu: les scènes se construisent sur ces rencontres fortuites ou précisément sur l'absence de rencontres avec les bonnes personnes) et la musique de Legrand est extraordinaire : ses compositions alternent chansons légères et musique symphonique ; mais là aussi, on est face à une inégalité constante : certains textes de Demy sont brillants (les paroles de « La Femme découpée en morceaux »), d'autres faciles ou d'une banalité à pleurer. Il y a une authentique volonté d'originalité (la scène du dîner, dont les dialogues sont écris en vers), et un respect des codes de la comédie musicale (les personnages se servent des chansons pour exprimer plus fortement leurs désirs, leurs doutes et leur solitude, pour amplifier et exalter leur joie ou leur désespoir), mais l'ensemble garde une dimension anecdotique et plate, comme dans une mauvaise production théâtrale.
La fin du film est très réussie : les histoires se dénouent dans un ballet virtuose, et chacun retrouve sa chacune. Il faut attendre cette conclusion pour entrevoir ce que Jacques Demy avait rêvé au départ, et regretter que les scènes précédentes n'aient pas bénéficié d'un savoir-faire similaire.