L’extravagante « Lola » nous a bien séduite, puis « La Baie des Anges », suivi des « Parapluies de Cherbourg », nous ont bouleversés. Il ne serait pas étonnant de voir le talentueux Jacques Demy revenir aux commandes d’une nouvelle comédie musicale afin de confirmer ses performances dans ce domaine si restreint dans le genre, mais si épanouissant dans sa réalisation. Dans une nouvelle ville portuaire des plus remarquables, on y découvre Rochefort, tel un personnage qui exprime sa joie et sa créativité à travers des lieux mémorables, emprunts d’une utopie romanesque des plus envoûtantes.
Du dernier pont transbordeur de France à la place Colbert, dont la symétrie des carreaux justifie un décor naturel prestigieux, le sentiment d’une industrie qui observe Hollywood de loin est pertinente. Les ballets se succèdent au premier plan, sur le rythme d’un Michel Legrand très inspiré. Il sait proposer le changement de ton selon les moments et il arrive à rendre ses partitions très intimes aux personnages qui sont subtilement introduits. La famille Garnier est au centre de cette croisade musicale où les âmes-sœurs se recherchent élégamment. On retrouve ainsi les sœurs jumelles Delphine et Solange, respectivement campées par Catherine Deneuve et Françoise Dorléac. La première est professeur de danse, l’autre de musique. Chacune développe son talent au profit de cette œuvre qui colle parfaitement au projet musical.
La présence d’Yvonne (Danielle Darrieux), leur mère comme gérante d’une brasserie, se justifie comme un intermédiaire nécessaire dans un puzzle amoureux. Rochefort est grande et l’illusion est totale lorsque l’on observe avec attention ces détails, où les couleurs pastelles et les paroles qui évoquent bien plus que de la poésie. Il existe un rapport de force lorsque les répliques chantées sont données. Le chant devient alors un instrument à par entière qui se distingue de l’ambiance. C’est notamment avec le fabuleux Andy Miller, incarné par Gene Kelly, habitué de ce genre de code, qu’on bouscule la virilité. Les hommes n’en possèdent qu’une partie jusqu’à leur associer la couleur rose qui tranche avec leur personnalité dynamique et rêveur. La richesse est autant masculine que féminine, car tout s’équilibre aux termes d’une œuvre qui appréhende l’amour comme une fatalité qu’on entretient en rêvant avant tout.
Subtilement importé de Broadway et d’Hollywood, l’influence américaine a permis à Demy de réaliser une pépite, en exploitant les décors locaux d’une ville en pleine expansion culturelle. « Les Demoiselles de Rochefort » brosse ainsi le portrait de la comédie musicale qui se veut instinctive. Les âmes-sœurs se recoupent sur la même partition ou finissent par se rencontrer au bout de leur passion qui les porte. C’est en y croyant que l’on en tombe amoureux, car en dehors des hommages qu’on puisse faire aux marins et aux amants, c’est le fait d’avoir joué une note juste que le récit nous saisit et nous fait avouer que le spectaculaire se met à notre service le temps d’une valse dynamique.