Sur l’île d’Amity, tout le monde se prépare à accueillir le 4 juillet, et l’afflux de touristes qu’il amène avec lui, de pied ferme. Mais la veille, le corps d’une jeune fille est retrouvé sur la plage, apparemment déchiqueté par un requin…
Film qu’on ne présente évidemment plus, il est difficile de dire quoi que ce soit de nouveau sur Les Dents de la mer, pierre fondatrice du cinéma d’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma. Mais qu’il n’y ait rien de nouveau à dire dessus ne signifie nullement qu’il faille se taire, et il n’est jamais interdit de proclamer tout l’émerveillement que peut provoquer une telle œuvre sur le spectateur encore aujourd’hui.
C’est en effet ce qui frappe, quand on revoit Les Dents de la mer, comme à peu près n’importe quel film de Spielberg aujourd’hui, et c’est probablement une des marques des vrais chefs-d’œuvre : quand on le revoit presque 50 ans après, il n’a pas pris un seul coup de vieux. Que ce soit dans la mise en scène, dans les effets spéciaux ou autre, rien n’a vieilli.
Spielberg avait déjà signé une œuvre puissamment hitchcockienne dans l’esprit avec son mémorable Duel. L’influence du Maître du suspense se fait à nouveau sentir dans Les Dents de la mer. Il y a beaucoup des Oiseaux, en effet, dans cette œuvre qui s’appuie sur un pitch légèrement similaire. Pourtant, et c’est là son génie, le réalisateur s’approprie tous les codes de ce genre de films pour emprunter sa propre voie. D’Hitchcock, Spielberg a surtout gardé un sens du suspense absolument irréprochable. S’appuyant sur un scénario réduit à peau de chagrin, le réalisateur appuie tout sur ce suspense, introduisant une atmosphère parfois insoutenable.
Chacune des apparitions du requin est une pure leçon de cinéma, tant Spielberg s’ingénie à le dévoiler très progressivement sans jamais en montrer plus que de raison. Comme toutes les grandes créatures de cinéma (du xénomorphe de Ridley Scott au Godzilla de Gareth Edwards), voilà le requin peu à peu mythifié par la caméra aiguisé de son créateur.
De mythe, il est régulièrement question, dans Les Dents de la mer. Car en effet, si le scénario est finalement assez peu développé (car il n’en a aucun besoin), Spielberg sait toutefois s’appuyer sur des personnages assez finement écrits par Peter Benchley, donnant ainsi corps à un récit qui aurait été assez plat sans cela. Au travers du récit, les personnages deviennent alors des archétypes très intéressants à étudier. Celui qui fascine évidemment, c’est le génial Robert Shaw, conférent sa puissance au personnage de Bart Quint, par lequel ce qui aurait pu n’être « que » un film de requin devient un Moby Dick des temps modernes. Fable sur l’obsession qui confine à la folie, autant que sur l’aveuglement des hommes, le film de Spielberg réussit ainsi à dépasser son simple statut de film de requin et déposer par là même sa marque dans l’histoire du cinéma.
Peut-être qu’un autre réalisateur aurait occupé le rôle si Spielberg ne s’en était pas mêlé, mais il faut bien reconnaître que son regard incroyablement affûté est pour beaucoup dans la réussite des Dents de la mer. A la recherche du plan juste avec la même obsession que Quint pour le requin, le réalisateur emballe ainsi un film maîtrisé de bout en bout, qui ne devient que plus culte lorsqu’on lui ajoute la partition impériale de John Williams, une de ses plus fabuleuses compositions, hypnotisante à souhait.
Puissant dans la forme, amplifié par un fond pas si inexistant qu’il n’en a l’air, Les Dents de la mer peut alors prendre sa place dans l’histoire du cinéma tranquillement, sûr de son unicité. Le public ne s’y trompera pas, et le triomphe qu’il réservera au film de ce grand réalisateur naissant ne se démentira jamais à travers les années. "Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années..."