Rares sont les films qui peuvent prétendre, presque cinquante ans après leur sortie, avoir conservé leur pouvoir de fascination intact.
Et encore plus rares sont les réalisateurs qui, dès leur deuxième film, et à moins de trente ans !, n'ont déjà plus grand chose à prouver.
Les Dents de la Mer, Steven Spielberg. Soit deux monuments du cinéma. Tout comme la musique de John Williams, dont les célèbres variations accompagnent la peur de l'animal en forme de machine à tuer et du prochain carnage qu'il accomplira.
Une peur qui saisit dès les premières minutes, avec cette ouverture sous-marine en vue subjective, ou encore les derniers soubresauts d'une force violente et archaïque qui animent cette malheureuse nageuse de minuit, dont les restes retrouvés constitueront l'indice inaugural d'une oeuvre au suspens haletant emprunté au genre du film catastrophe.
Cette peur est aussi décuplée, dans la mesure où, pendant longtemps, le requin sera plus suggéré ou deviné, matérialisé par des restes humains glissant au fond de l'océan, un mouvement de foule en forme de pulsion voyeuriste, une dent démesurée ou le surgissement d'une tête coupée à travers le trou d'une épave...
... Ainsi que par les caprices d'animatroniques défectueuses contraignant Spielberg à changer ses plans de mise en scène.
L'enchaînement des péripéties est saisissant, les situations de plus en plus hyperboliques, défiant les réalités touristiques et pécuniaires de la ville balnéaire d'Amity, écrasée par la chaleur du 4 juillet. Jusqu'à l'amorce d'une seconde partie où la menace du prédateur est enfin totalement révélée. Fini les apparitions furtives et insaisissables d'un monstre tout droit issu de la mythologie, Spielberg donne enfin à voir à son public un géant tout aussi carnivore qu'énervé, animé de toute sa puissance brute déséquilibrant l'Orca et le cadre de l'image au passage, faisant du spectateur un passager impuissant à la merci du squale. La même trouille éprouvée par Brody, Quint et Hooper le saisit alors, tant ces trois là se retrouvent devant un monstre implacable et démiurge, rappelant les illustrations d'anciennes cartes maritimes et les récits fabuleux de pirates rescapés d'attaques à peine croyables.
Le duel au large d'Amity reformule bien sûr tout un pan des récits d'aventures maritimes, ceux d'Herman Melville en tête, ou encore les figures du western, mais aussi le Duel qui a distingué Steven Spielberg pour la première fois. Et c'est avec le même sens du spectacle et du suspens que celui-ci fait des Dents de la Mer un sommet de l'année cinéma 1975 ainsi que du cinéma contemporain. En poussant le genre vers une maîtrise du sublime dans la terreur, à ce point efficace que cet été là, la légende nous dit que seuls certains inconscients avaient assez de courage pour piquer une tête.
Behind_the_Mask, la mort au large.