Dark Age (Arch Nicholson, Australie, 1987, 1h31)

Le désert, le sable, les plants cramés sous un soleil de plomb, la poussière, le front en sueur dans la chaleur de la lumière, une rivière saumâtre, bienvenue dans l’Outback australien. Cet endroit reculé où la civilisation est en option. Ce lieu habité par les populations indigènes qui prenaient trop la place dans les régions envahies par les colons. Trop visibles pour que la bonne conscience de ces nouveaux locataires insulaires reste clean.


Sous ses airs de film de monstre lambda ‘’Dark Age’’ est en réalité un constat cinglant d’une grande virulence, portée à l’encontre d’une nation usurpée ayant réduite toute une ethnie à la fuite. Dans ce métrage, les Aborigènes incarnent les Australiens originels, ceux qui vivent en adéquation avec leur environnement, maintenant tant bien que mal coutumes et traditions.


Lorsque le crocodile apparaît, (oui parce que c’est quand même un film de crocodile, ne l’oublions pas) ils voient en lui une divinité millénaire. Quand les autorités y voient une menace au tourisme, étonnées qu’elles sont de le voir attaquer des humains. Sans jamais remettent en question le fait que ces derniers occupent la place de ses proies naturelles.


Chargé de la surveillance de la faune, un ranger de l’outback, incarné par le génialissime John Jarratt, est mandaté par son supérieur afin de chercher l’animal, le trouver et le buter. Un objectif qui branche moyennement les Aborigènes, pour qui l’animal est un être sacré. Également peu jouasse à l’idée de le flinguer, le ranger s’oppose à son supérieur, un bureaucrate aveuglé qui lui dit clairement :


‘’Fuck off, c’est pas toi qui décide. C’est pas toi qui fais la loi. C’est la thune. Et si t’es pas content, tu démissionnes. T’en fais pas, on trouvera un type plus docile que toi pour satisfaire le portefeuille des commerçants, des entrepreneurs, et des quelques actionnaires qui ont de la mailles à se faire dans nos stations balnéaires’’.


A cela s’ajoute un portrait vitriolé des bogans, l’équivalent redneck des antipodes, dont la soif de sang n’a d’égal que leur stupidité. Avec des méthodes moyenâgeuses, qui donnent son titre au métrage, ces beaufs alcooliques et violents dont le soleil à un peu trop tapés sur le système, incarnent une société australienne déliquescente, peu aidée par une bureaucratie aveuglée par ses néons, ignorant tous des conditions du terrain.


Ceux qui cherchent à faire des compromis, comme le ranger et une vétérinaire impliquée, apparaissent comme des marginaux en décalage. De dangereux utopistes passionnés par leur métier, donc compétents dans ce qu’ils font. Représentants une menace incontrôlable face au profit de quelques ingrats technocrates invisibles. Les personnages principaux sont ainsi attachants et convaincants, quand leurs antagonistes, les bogans et l’institution, incarnent de vrais méchants de cinéma. Avec des motivations valables des plus détestables.


Puis il y a une troisième strate, la dernière, que sont les Aborigènes. Divisés entre ceux qui ont adoptés le mode de vie occidentale, perceptible par le port de certains vêtements, et ceux qui refusent catégoriquement toute modernité. Émettant le dangereux souhait de vivre selon les rites transmis par leurs ancêtres. Tel une forme de résistance qui perdure face à l’envahisseur européen.


Pour ce qui est de l’ensemble du métrage, ‘’Dark Age’’ n’est en fait qu’un copier/coller de ‘’Jaws’’, duquel il reprend toute la structure narrative. La première attaque de nuit, une menace invisible, un enfant qui se fait bouffer (scène plutôt fun…), prise de conscience du danger, l’animal qui devient une menace économique, pesant sur le tourisme, une chasse sauvage est organisé. Elle donne d’ailleurs lieu à une boucherie où chaque crocodile entrant dans le champ de tir d’un chasseur est abattu. Une séquence à plus d’un titre choquant, de par la gratuité dont font preuve les bogans abreuvés de bière, et l’impunité avec laquelle ils agissent.


Puis il y a la séquence de chasse épique en mode ‘’we gonna need a bigger boat’’. Où le ranger et deux Aborigènes, à bord d’un petit bateau à moteur, décident de capturer la bête. Tous les grands moments du film de Spielberg parcourent ainsi le scénario, au point que l’excellent titre français (ce qui est assez rare pour en parler) montre que les traducteurs ne s’y étaient pas trompés, puisqu’ils l’ont appelé ‘’Les Dents de la Mort’’. Génial.


S’il pourrait se reposer sur son simple concept de rip off de ‘’Jaws’’, le film de Arch Nicholson ne s’attarde pourtant pas totalement sur le modèle de son aîné. Reprenant juste les moments clés pour les adapter à la nature sauvage de l’outback. À l’image du dernier acte, très différent, qui offre une scène de course poursuite, suivit d’un climax sanguinolent des plus haletants. Le tout sous couvert d’un petit message pas du tout moralisateur, rappelant l’existence d’une population bafouée par la société australienne moderne, consumériste et hors de contrôle. Incarnée par une institution publique complètement à la masse.


Tout en évoquant ça, ‘’Dark Age’’ n’oublie jamais qu’il est un divertissement avec un croco’ qui bouffe des gens. Généreux dans l’hémoglobine, respectueux de son spectateur, réflexif, malin, divertissant, authentique et honnête, il distille un suspens efficace, en ne montrant que ce qu’il faut de son crocodilien pour instaurer une tension qui tient la route.


En résulte une excellente surprise, qui jamais ne se repose intégralement sur son postulat de départ, prétexte à dresser le portrait peu brillant de la société australienne de 1987. Avec son univers riche et étoffé, rien n’y est gratuit ou facile. Les situations ne sont pas anodines, et jamais il ne reste prisonnier des carcans de son modèle américain. Proposant un vrai film de cinéma, original et intelligent, plutôt cool, et qu’il est bien de le trouver pour le regarder.


-Stork._

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le 24 mai 2020

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