LES DERNIERS PARISIENS (14,3) (Hamé Bourokba/Ekoué Labitey, FRA, 2017, 105min) :
Ce drame fraternel attachant narre l’histoire de Nas frère cadet trentenaire, sortant de prison revenant dans le quartier de Pigalle pour travailler au côté de son frère aîné Arezki patron du bar « Le Prestige » avec l’ambition de retrouver un nom et une place au soleil.
Hamé Bourokba & Ekoué Labitey membres fondateurs du groupe hip-hop underground hardcore La Rumeur, aux textes engagés et rageurs décident de quitter les studios d’enregistrement pour passer derrière la caméra. Une ambition cinématographique censée se décliner en une trilogie (à l’instar de leurs LP) sur les quartiers populaires. Le premier volet Les Derniers parisiens débarque sur nos écrans de Paname et dans l’Hexagone.
Dès l’entame de ce périple urbain la caméra arpente librement les trottoirs de Pigalle, elle renvoie à hauteur d’hommes le pouls d’humanité et de vies qui transpirent et survivent sur ce bitume où se mêle touristes, voyous, commerçants et habitants folkloriques. Une immersion totale sans pittoresque, par le biais de Nas dont on suit le point de vue et le parcours de réinsertion dans sa société, pour retrouver ses repères, ses potes et réintégrer ses lieux de vie.
Sans faire une étude anthropologique sociétale ou un documentaire la mise en scène parvient à capter l’état d’esprit de ce petit coin de Paris interlope, soit par la caméra portée à l’épaule ou grâce à la steadicam qui offre une image toujours en mouvement pour mieux nous faire sentir la fièvre de ces rues particulières. Une plongée en immersion où les rendez-vous entre potes, et diverses rencontres de quartier sentent l’authenticité et le vécu. Ici point de rumeur ça filme ce qu’ils connaissent !
Outre la description assez juste de la vie de ce district urbain, la narration dépeint avec nuances la relation discordante entre les deux frères qui n’aspirent pas au même avenir. Nas rêvant de soirée où le tout Panam viendrait s’éclater alors qu’Arezki rêve de partir se poser dans le Sud loin du tumulte de Paris. Les deux frères s’affrontent régulièrement à travers un jeu de dupes ou l’argent « sale » du cadet a permis à l’aîné de devenir propriétaire de l’établissement et va pourrir leur relation tel un ver dans la pomme.
Le récit décline de façon habile la mutation de ce quartier ou les bobos et les hipsters prennent de plus en plus de place, les économies parallèles et le business local avec ses petits truands et ses trafics. Les cinéastes montrent également une magnifique photographie de la faune nocturne, des lieux de vie et de la mixité à la française sans quota, où la gouaille et l’argot moderne renvoie aux héros des films noirs français des années 50-60. Du rififi à Paname version 2017 où les combines, les chausses trappes et les faux sourires ne manquent pas, sur le pavé l’école de la survie. Une description agrémentée par des dialogues tchatcheurs, des vannes modernes et des répliques parfois sexistes mais souvent savoureuses, débitées avec un naturel délicieux.
Un long métrage déambulatoire qui se veut modeste, manque parfois d’ampleur mais ne verse jamais dans la surenchère. Une œuvre sur le vif, portée par une très belle distribution ou l’alchimie prend corps sous nos yeux illuminés par l’impeccable Reda Kateb à l’aise comme un poisson dans l’eau secondé par la subtilité de jeu de Slimane Dazi. La bande sonore apporte aussi son lot de jubilations avec une pulsation souvent électro de bon aloi. Une première expérience abrasive douce-amère à l’ambiance polar bien séduisante qui se clôt sur une scène mélancolique rajoutant un supplément d’âme à ce projet de belle facture.
Venez arpenter les rues de Pigalle, de Blanche au Moulin Rouge sans perdre de vue tout le prestige du microcosme si particulier de ce quartier qui protègent ou non encore un peu « Les Derniers parisiens » avant la fin d’une époque. Maitrisé, juste, vivant et touchant. Big up !