Mes amis, si vous appréciez les critiques bien écrites, celles drôles, celles enrichissantes, j’ai bien peur que vous fassiez fausse route. Ce n’est pas ce que vous allez avoir droit devant votre écran, dans votre chambre, dans vos toilettes, chez vous, au boulot, ou pendant la salle d’attente pour vous faire dépister. Il n’est pas encore trop tard. Lisez une autre critique.
Si vous êtes encore là, je ne peux plus rien faire pour vous. Vous aurez donc la critique un peu mensongère des Désastreuses aventures du Comte Olaf.
Faisons donc connaissance avec ce vil monsieur. Un grand comédien qui cabotine jusqu’à l’excès, emporté par son ego fou, applaudi par sa troupe de théâtreux, grands artisans de la flatterie plutôt que du bon jeu. Cette créature, comme tout bel antagoniste, est probablement consciente de sa malhonnêteté et de sa cupidité, sans désirer changer sa manière d’être.
Tout absorbé par son art, il n’a pas le temps ni l’envie de se frotter aux basses besognes ménagères. Son petit manoir biscornu se dégrade, la vaisselle sale s’agglutine, le ménage ne le concerne pas. Et comme tout grand artiste, il est forcément incompris, et l’art du théâtre le nourrit, mais le quotidien pourrait être amélioré.
Dès lors, consécutivement à l’annonce de la mort de lointains parents dans un incendie, il va prendre sous son aile décrépite l’éducation de leurs enfants devenus orphelins, les Baudelaire. Tous les trois coulaient, selon la formule, des jours heureux, malgré l’étrangeté de leurs caractères, avec Violette, l’ainée de 14 ans, l’inventrice et la raisonnée du trio, Klaus, le garçon, passionné de livres, à la mémoire sans défauts, et la bambine Prunille, qui mord tout ce qu’elle touche et babille à longueur de journée. Leur arrivée dans le foyer du comte Olaf est pour lui une belle main d’œuvre, mais aussi une autre promesse, celle de leur héritage, qu’il va chercher à s’accaparer par différents moyens.
Tant pis pour l’exploitation abusive, s’il le faut il leur tordra le cou pour les sous. Mais ces orphelins, s’ils sont un peu atones, n’en sont pas moins dégourdis. Ils vont s’échapper, rencontrer d’autres parents, mais seront sans cesse pourchassés par le comte Olaf, sans pitié pour leur entourage.
Dans ce monde au macabre réjouissant, d’un humour noir et au ton désespéré mais jamais pesant, avec toujours une maigre lueur d’espoir que voudrait éteindre le comédien fantasque, son interprète, Jim Carrey en offre une incarnation au-delà de toute justesse, dans une folie mégalomaniaque et machiavélique, dans le geste, sur le visage et dans la parole. Il est le phare du film, tellement présent qu’on ne peut l’oublier, revenant toujours, avec un autre plan ou un nouveau déguisement, prêt à endosser tous les rôles, à assumer tous les mensonges pour tenter d’arriver à ses fins malhonnêtes, et gare à qui serait sur sa route. Si Jim Carrey est seul à avoir son nom sur l’affiche, s’il est le premier à ouvrir le générique, ce n’est pas pour rien. Le film est un défi à sa créativité plastique, à ses possibilités physiques.
Face à lui se dresseront donc ces orphelins Baudelaire, bien que plutôt enclins à la fuite de griffes interminables. Les jeunes Emily Browning et Liam Aiken sont dans la retenue, dans un monde d’adultes farfelus, le plus souvent aveuglés par leur nombril ou leurs préoccupations. A bien des égards, ils dénotent avec les héros classiques de tels films familiaux, le plus souvent obligés de grandir trop vite, alors qu’ici ils semblent déjà atteints d’une certaine maturité, refusée par les adultes. Mais qui les font par conséquence apparaître aussi en retrait dans leur grand cirque. Peu expressifs, l’absurdité de leur sort et les dangers que leur font peser le comte Orlof semblent peu importants.
La petite Prunille est une exception, la protagoniste clairement humoristique, jouée par les jumelles Shelby et Kara Hoffmann, aux jeux de son âge, ici exagérés, mais aussi aux babillages sous-titrés, qui en disent long sur ses états d’esprits mais aussi une certaine intelligence en décalage avec son jeune âge.
Tout ce petit monde réuni autour du comte Orlaf n’est que la transposition d’une petite saga littéraire initiée en 1999, composée d’une dizaine de tomes et de quelques hors-séries, écrite par Lemony Snicket, narrateur et commentateur de ces aventures, là aussi mobilisé pour le film. Le film adapte les trois premiers tomes, ce qui se ressent, pour autant de segments et de nouvelles rencontres avec un membre éloigné de la famille Baudelaire, avec l’original Oncle Monty, passionné de serpents, puis l’apeurée Tante Agrippine, joués respectivement par Billy Connolly et Meryl Streep. Avec toujours l’ombre d’Orlaf. Ce découpage permet de toujours renouveler la curiosité, en faisant découvrir un nouveau cadre et un nouveau personnage, même si le film est bien rapide, et parfois précipité. La fin offre une conclusion satisfaisante, même si elle laisse des portes ouvertes pour une suite qui n’a pas vu le jour.
Cette super production est confiée à Brad Silberling, qui retrouve le genre qui l’a fait connaître, le film familial fantastique, après le gentillet Casper de 1995. Difficile de déterminer à quel point il possédait une certaine indépendance artistique avec une production Dreamworks estimée à 140 000 000 de dollars (et combien pour Jim Carrey ?), mais on peut remarquer une réalisation assez réussie, aux cadrages parfois audacieux, qui expriment l’étrangeté du monde du comte Orlaf, tout en n’oubliant pas de filmer son vilain si télégénique.
Il y a un travail fou et fascinant dans la direction artistique, avec son macabre torturé mais sans jamais être trop inquiétant, qui peut rappeler l’univers de Tim Burton, et ça fait du bien que quelqu’un d’autre que Tim Burton fasse du Tim Burton. La profusion de détails dans les costumes mais aussi dans les décors et dans les intérieurs offre de la consistance à ce monde, la découverte de l’antre du comte Orlof étant très bien rendue dans tout son délabrement mais aussi dans l’expression de l’ego de son propriétaire. Et comment ne pas parler de la beauté triste du manoir Baudelaire, une ruine incendiée. Les effets visuels sont très importants, et n’ont pas été traités à la légère, pour offrir au monde une teinte à la date indéterminée, à la fois passée mais irréelle, à la fantaisie noire.
Les Désastreuses aventures du Comte Orlaf sera un beau succès, mais qui ne couvrira que de quelques dizaines de millions l’énorme budget investi, et donc n’aura pas de suites malgré certaines attentes. Que c'est cruel.
Heureusement, Netflix est là, avec une nouvelle adaptation mais cette fois-ci en une série télévisée de trois saisons, qui a pu couvrir tous les romans.