Les Deux Anglaises et le Continent de François Truffaut dépeint les battements d'un triangle amoureux, un homme deux femmes, indécis et timides, puis décidés et sensuels, mais gênés par les mœurs d'une bourgeoisie confortablement sûre de sa légitimité. Claude (Jean‑Pierre Léaud), jeune parisien habitué des mondanités esthétiques, Ann (Kika Markham) et sa sœur Muriel (Stacey Tendeter), puritaines du même âge vivant le délice d'Arcadie sur les côtes galloises.
J'ai été au début très enthousiaste. Claude arrive un peu timide dans le foyer des deux jeunes femmes, ils font connaissance, apprennent l'un de l'autres et se cherchent. Le personnage de Muriel est d'ailleurs extrêmement bien amené. Très progressivement, d'abord rien que son nom, puis ses cheveux, puis son visage avec un bandeau sur les yeux, soudain un œil se découvre, ensuite avec des lunettes teintées et enfin son visage en entier.
Des scènes très belles se dégagent, comme celle du baisé de Claude et d'Ann entre les barreaux d'une chaise, après un gage, pour lequel Claude hésite et Muriel adossée plus loin détourne le regard. Ça a l'air d'être de la sensiblerie mais la scène fonctionne très bien.
La première moitié du film joue avec une certaine ambiguïté : Claude est-il amoureux d'Ann ? De Muriel ? Des deux ? Ou d'aucunes ? Les considère-t-il comme ses sœurs ou ses amantes ? Et après la révélation de leur amour réciproque, puis leur séparation, comment vont-ils se survivre ?
Mais dès que cette ambiguïté tombe, car Claude se désintéresse des deux, ou du moins les esquive en fréquentant d'autres femmes, le film perd tout ce qu'il avait essayé de mettre en place. Il n'a plus rien auquel vraiment s'accrocher.
Dès lors, il nous est plutôt proposé une suite de récits sans grands enjeux ni liens. Les affaires de Claude à Paris sont inintéressantes, les escapades d'Ann et sa poterie aussi. Seule la vie puritaine (ou pas) et épileptique de Muriel m'a un peu raccroché, mais pas longtemps. A cela s'ajoute le jeu stoïque de Jean-Pierre Léaud et la voix off, qui n'aident pas à rester accroché.
On peut toutefois reconnaitre la qualité dans la confection et le choix des habits et des costumes, le style "indémodablement" très bourgeois de Claude (son apparence dans la dernière scène au parc fait très "jeune professeur soigné"). La magnifique musique de George Delerue, que je réécoute fréquemment avec plaisir. Enfin, la beauté douce et retenue de Muriel (Stacey Tendeter), qui reste délicatement gravée dans ma mémoire, notamment lorsqu'elle porte les lunettes teintées au début, ou dans le générique de fin.