"Les Diables" (deuxième long métrage de Christope Ruggia après l'étonnant et foisonnant "Gone du chaâba") est un film imparfait, impossible et qui se perd d'emblée dans une violence sans merci à coup de maisons en feu, d’hôpitaux saccagés, de prison. Alors pourquoi touche-t-il autant ? Parce que c'est autant un cri de rage que d'amour, c'est une larme, un sourire et si la toile de fond est réaliste, les personnages, des enfants qui n'ont pas reçu d'amour et le recherchent en sachant bien que c'est perdu d'avance, sont présentés comme des diables, des figures tentaculaires et fascinantes. Le film va dans tous les sens, sans concession, sans recul aucun, mais qu'importe on les suit ces deux gamins-là qui se regardent. Et avec quels yeux ! Quatre pupilles bleues qui s'entraînent, main dans la main, jusqu'au ciel.
Autour d'eux des institutions, des adultes un peu paumés face à tant de rage non contenue, et des enfants aussi arrachés à la vie, des gamins des foyers, des rues, sans attaches. La force du film est surtout d'avoir mis ensemble deux acteurs fabuleux qu'on connaît aujourd'hui très bien et dont la beauté déformée, déjantée apparaît là dans toute sa fraîcheur. Adèle Haenel fait danser des confettis au-dessus de sa tête, elle dessine en nous sa détresse, nous fait rentrer dans sa tête cabossée qui ne demande qu'à vivre. Vincent Rottiers a déjà cette rage boursouflée qu'il fera éclater plus tard dans "Je suis heureux que ma mère soit vivante". Il court, il crie, il laisse parler son cœur. Frère et sœur, de chair et de sang, d'amour et d'eau fraîche aussi. Quelque chose de déroutant imprègne tout le film, surtout dans ses maladresses, dans son rêve, dans cet impossible foyer que ces deux-là cherchent en vain, l'un pour ne pas perdre son unique famille, l'autre pour garder son seul lien avec le monde. De leur road trip (on pourrait presque dire "tripes") naît un brouillon intense, malhabile, quelque chose comme une fléchette tirée en plein cœur du spectateur. Sous nos yeux, deux acteurs sont nés.