Que reste-t-il à prouver à Clouzot après Le Salaire de la Peur ? Pas grand-chose, si ce n’est que sa femme est une actrice digne du haut de l’affiche, et que la maitrise du film précédent peut rendre les policiers qu’il réalisait auparavant encore plus intenses.
Les Diaboliques est en effet marqué par les nombreux procédés qui faisaient la force du Salaire : nous sommes face à une mise en scène méthodique, clinique, marquée par un regard chirurgical et une absence totale de musique, accroissant la tension a un degré assez jubilatoire.
Comme toujours, Clouzot prend son temps, et l’exposition consistant à caractériser les personnages parvient à mettre en place un univers – la pension, toute en escalier, bassins souillés et fenêtres multiples – et caractériser les personnages : la trouble Signoret, la pâle Vera et le très agréablement sadique Meurisse. La collectivité fonctionne à merveille, l’interaction entre les enfants et les professeurs, aussi dépassés qu’obséquieux avec leur hiérarchie, rappelle ce sens inné du cinéaste à dépeindre un monde clos, comme on le voyait dans Quai des Orfèvres ou Le Corbeau.
[Spoilers]
La suite du film se déroule en deux temps, et se veut l’exploration d’une mise en scène particulièrement retorse pour qui verrait le film pour la seconde fois : c’est d’abord la machination des femmes, leur lent travail d’assassinat et de rapatriement du corps. Laborieux, méthodique, organisé d’une main décidée par Signoret, très virile dans sa gestion de la situation, elle dessine une mécanique huilée qui se déroule selon le plan, à quelques imprévus près qui sont autant d’occasions d’insertion de scène comiques réussies : les voisins à Niort, le soldat Jean Lefebvre voulant entrer dans la voiture, etc.
C’est ensuite la mise en scène secrète qui vient volontairement gripper la première : embarqué avec le secret honteux de l’épouse, le spectateur se laisse gagner par la confusion et perd progressivement ses repères. A mesure que le récit progresse, les touches d’un possible fantastique, auquel on refuse de se soumettre, se diffusent et entachent jusqu’à l’étouffement. Un corps qu’on ne trouve plus, des apparitions multiples et un silence de plus en plus angoissant contribuent à l’écriture machiavélique du mort qui s’obstine à torturer sa victime, vivante en sursis. Admirable dans son exploration de l’épouvante pure, la séquence du couloir, bien que jouant avec les poncifs du genre (la poignée de porte, les ombres, les apparitions) et son apothéose dans la baignoire, sont un des rares et très grands moments du cinéma français dans ce registre.
Meurisse, double à peine voilé du cinéaste, tant dans son intelligence retorse que sa capacité à tyranniser les siens, achève son grand œuvre en retirant ses faux globes oculaires : grand art dans la leçon donnée au spectateur dont l’aveuglement prend fin pour voir en face la superbe machination.
La dernière réplique de l’enfant jurant à nouveau avoir vu la morte prolonge les délices du mensonge : ce n’est pas pour rien que l’action a pris place dans un pensionnat : par l’effroi et le désir impérieux d’en savoir davantage, Clouzot nous a bien fait retourner en enfance.
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