Support: 4K Bluray UltraHD


Difficile de raconter du neuf avec du (très, très, très) vieux. C’est l’a priori que l’on pourrait avoir en lançant ce film de quatre heures, superproduction s’il en est. Car l’histoire de Moïse, on la connaît tous, quel que fût notre vecteur d’approche : la religion, ce film, ou comme pour moi, Le Prince d’Egypte. Difficile d’être surpris par l’un des mythes fondateurs de notre civilisation, détenteur du record de Deus Ex Machina utilisés (en même temps, c’est dans le nom) souvent jugé comme artifice narratif bien trop facile. Qui plus est lorsque la religion et le prosélytisme, on est plutôt anti que pro. Sur ce dernier point, on peut toutefois classer ça dans une œuvre de fantaisie au même titre qu’un péplum de Ray Harryhausen.


Mais bien évidemment, si le cinéma n’était qu’une question de scénario, ça fait longtemps que l’industrie se serait écroulée, et si Cecil B. Demille n’employait pas les moyens mis à sa disposition pour transcender son récit, on n’en parlerait pas soixante-dix ans plus tard. Car des moyens, il en a et ça se voit. Outre le casting impeccable, mettant en face à face un Charlton Heston charismatique en diable (blasphème!) et un Yul Brynner à la froide arrogance, avec au milieu une Anne Baxter lascive et vénéneuse, ce qui saute immédiatement aux yeux est le faste déployé. Des décors grandiloquents, proposant des peintures tantôt splendides, tantôt oppressantes, des costumes à la richesse palpable et à la minutie conférant une authenticité rare, et des effets spéciaux qui, s’ils ont aujourd’hui un aspect carton pâte inéluctable, restent tout à fait beaux. Ajoutez à cela des foules en veux-tu en voilà, et vous obtenez une fresque qui ne peut qu’en mettre plein les mirettes. Et parlons bien de fresque vu la longueur du déroulé, puisqu’il ne faudra pas moins de 3h40 au cinéaste pour imprégner son film dans l’imaginaire du spectateur. Je l’avais vu gamin, il y a a peu près un quart de siècle, et j’en avais toujours des images irrémédiablement gravées dans les galeries picturales de mon esprit.


Une durée qui permet également au cinéaste de développer l’univers antique qu’il propose, d’en établir les mécaniques et rouages, d’en dépeindre les conditions de vie et les rapports de force pour donner un corps macro à ce cœur micro qu’est la lutte fratricide entre Moïse et Ramsès. C’est bien leurs caractères et leurs conceptions diamétralement opposées mais fondamentalement complémentaires qui servent de catalyseur au déroulement du récit:


  • L’esprit contre le corps : alors que les hébreux sont privés de leurs enveloppes physiques, c’est dans la spiritualité qu’ils puisent leur force et alimentent la machine de l’Egypte. Les corps des esclaves font la force du pharaon, tandis cette privation pousse à des échappées de l’esprit qui permettent de créer le prophète. Il n’y a pas l’un sans l’autre.

  • La foi contre la science : alors que les chantiers de Ramsès fonctionnent grâce à une technologie basée sur le rationnel, ils déplacent moins de montagnes que ne le fait l’espoir placé en Lisan al Gaib. Le suzerain dépend de ce qui est tangible alors que le prince déchu puise dans ce qu’il croit possible. Mais le champ des possibles se base sur le réel. Il n’y a pas l’un sans l’autre.
  • L’unique contre le multiple : une opposition des théismes (mono et poly) qui se reflète dans une opposition de la vision de l’Humanité. Moïse la voit sous une seule arche, dans une unité de foi fraternelle (en témoin sa mère adoptive qui s’exile avec les hébreux malgré son origine), tandis que Ramsès est ancré dans un système de classes, où l’un domine l’autre pour fructifier. Et il faudra bien au pharaon l’échec de ses prières à son panthéon pour se rendre compte de la vérité du singulier. Il n’y a pas l’un sans l’autre.

C’est finalement dans l’importance donnée aux écrits que se retrouvent les deux personnages. Lorsque Pharaon prend une décision, il demande l’inscription ou l’effacement des faits des annales royales sous son autorité suprême à écrire l’Histoire tel qu’il l’entend : “So it shall be written. So it shall be done.”. A contrario, Moïse accepte les écrits tels qu’ils lui sont présentés (bon, avec des tablettes gravées à la foudre divine, moi aussi je dirais “ok”) et en fait la base de la société fervente à laquelle il aspire. Comme aurait dit Caius Titus : verba volant, scripta manent - les paroles s’envolent, les écrits restent (pour ceux qui comme moi ont pris option sarbacane au collège).


C’est d’ailleurs la force de l’écriture qui me fait apprécier davantage ce film que ce que j’escomptais. Car au fur et à mesure que j’avançais dans cette prose, je me posais plus de questions sur ce que j’ai vu qu’initialement, et prenais la mesure de l'œuvre. Ainsi, d’un sept envisagé au moment de dégainer mon clavier, c’est avec un huit argumenté que je le range dans son holster. Comme souvent d’ailleurs. L’impétuosité de la parole impromptue ne saurait faire face au recul commandé par le temps pris pour écrire. A défaut d’un lectorat, j’y gagne en appréciation du septième art, et là-dessus, je ne peux pas rechigner.


Créée

le 25 mars 2024

Critique lue 11 fois

Frakkazak

Écrit par

Critique lue 11 fois

D'autres avis sur Les Dix Commandements

Les Dix Commandements
Docteur_Jivago
9

L'aube de la liberté

Alors que sa riche carrière couronnée de plusieurs succès commence à prendre fin, Cecil B. DeMille signe comme dernier film achevé une nouvelle version de l'histoire des 10 commandements qu'il avait...

le 14 déc. 2014

32 j'aime

12

Les Dix Commandements
Ugly
9

La Bible en Cinemascope

Tout d'abord, une petite précision : les Dix commandements n'est pas à proprement parler un péplum, on le classe dans cette catégorie par facilité, mais c'est une fresque biblique, sous-genre...

Par

le 2 oct. 2016

24 j'aime

15

Les Dix Commandements
m-claudine1
9

Quand le cinéma raconte l'histoire de l'espérance de tout un peuple.

Film biblique par définition, "Les dix commandements" illustre le livre de l'Exode de la Bible. A l'heure où, à travers le Monde, de nombreux pays célèbrent Pâques dans un contexte particulier et...

le 16 avr. 2020

21 j'aime

12

Du même critique

Assassin's Creed: Mirage
Frakkazak
4

Mi-rage, mi-désespoir, pleine vieillesse et ennui

Alors qu’à chaque nouvelle itération de la formule qui trône comme l’une des plus rentables pour la firme française depuis déjà quinze ans (c’est même rappelé en lançant le jeu, Ubisoft se la jouant...

le 10 oct. 2023

19 j'aime

Spiritfarer
Frakkazak
8

Vague à l'âme

Il est de ces jeux qui vous prennent par la main et vous bercent. Des jeux qui vous entraînent dans un univers capitonné, où de belles couleurs chaudes vous apaisent. Spiritfarer en est. Le troisième...

le 9 sept. 2020

13 j'aime

2

Returnal
Frakkazak
9

Gen of Tomorrow

Cinquante heures pour le platiner, et c'est d'ailleurs bien la première fois que j'arrive à aller aussi loin dans un roguelite. Non pas qu'il soit facile, il est même étonnamment ardu pour un triple...

le 30 juin 2021

11 j'aime

6