Éminent film de guerre, Les douze salopards (1967) se distingue de ses concurrents par son caractère frontal. Les classiques de l'époque comme La Grande Evasion (1963) ou Le Jour le plus long (1963) rendaient hommage aux combattants et tiraient vers l'hagiographie, avec parfois une certaine légèreté. Au contraire, The dirty dozen met en scène une mission suicide (pénétrer une forteresse nazie) impliquant douze criminels, dont plusieurs condamnés à mort. Au terme de cette rédemption à la dure, ils pourraient être graciés. Dirty Dozen fait ainsi la jonction entre l'Hollywood conventionnel et la virulence de Peckinpah, anticipant notamment sa Horde Sauvage (1969). Le film s'ouvre sur une exécution ordonnée par un tribunal militaire et présente une hiérarchie cynique, avec à sa tête Borgnine en général Worden. Ce bourru exalté est bien plus pragmatique et platement rationnel qu'il en a l'air. Aldrich exprimait déjà son dépit sur le sujet dans Attaque (1956).


Comme La Grande Evasion, cet opus jouit d'un gros casting (avec notamment Charles Bronson en commun, très amer concernant sa participation) et se pose en divertissement massif. Contrairement à ce dernier, il est sans temps morts, plein d'esprit et de malice (humour abondant, punchlines de Lee Marvin), plus viril également. S'il honore sa fonction et gère la mission avec poigne, le major Reisman (Lee Marvin) reste un raisonneur, sceptique d'abord par nature, ensuite par acquis de conscience. Il exprime sa désapprobation envers ses supérieurs, même en vain, sans pour autant accorder la moindre excuse aux voyous dont il a la charge. Pressé à les diriger, il les manipule un par un, avec psychologie et autoritarisme, pour transformer le troupeau de salopards en brigade d'élite. Le 'show' fonctionne grâce à un traitement nerveux, ne lâchant jamais les enjeux essentiels, même dans les moments de détente apparente. Le postulat en lui-même est assez bigger-than-life et Aldrich possède à la fois le culot et la lucidité nécessaire pour embrayer là-dessus avec efficacité.


Sans avoir le cinglant de Baby Jane (1962) ou l'originalité profonde d'En quatrième vitesse (1955), ce film dément le préjugé selon lequel Aldrich serait un réalisateur sans style propre. Ce contresens tenace tient au décalage d'un cinéaste aux tendances insulaires, toujours snobé par les cérémonies 'de légitimation' type Oscars. Souvent violent, le cinéma d'Aldrich est celui d'un 'auteur' au sens où le terme est alors employé en France. Dirty dozen sera son plus grand succès commercial et bat alors les records de la MGM. Cela permet à Aldrich de racheter des studios (Famous Player-Lasky) et d'assurer son indépendance. Il tournera notamment L'empereur du Nord (1973) et Fureur apache (1972) sur une autre bataille impossible. Quand à Dirty dozen, il aura des suites (dont une en 1985 avec Lee Marvin et Ernest Borgnine) et remakes médiocres ; il est lui-même le remake de The Secret Invasion (réalisé par le pape du bis Roger Corman), s'ajoutant à une vague de succédanés italiens.


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le 5 sept. 2015

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