« L’honneur pousse à toutes les audaces »

Premier long métrage de Ridley Scott, The Duellists met en scène la rivalité qui opposa deux soldats de l’armée napoléonienne pendant une vingtaine d’années. Nous retrouvons bien la lutte de deux hommes qui sont deux frères d’armes, thématique chère au cinéaste : l’un s’avère colérique et fou – il est interprété par Harvey Keitel –, l’autre commence par subir le duel pour peu à peu y prendre goût – c’est Keith Carradine. Caïn et Abel, en sommes, dont l’issue demeure pourtant différente ; car Scott s’intéresse moins au duel comme une épreuve de mort que comme un rituel qui mortifie la vie et raccorde l’individu à l’angoisse de sa condition de mortel.


En adaptant Joseph Conrad, il oppose deux formes d’héroïsme : un héroïsme national, résultat du service de l’empereur et de la fidélité à sa personne ; un héroïsme égoïste qui repose sur la défense et la réparation de l’honneur. Le premier se construit au fil des campagnes militaires, grade après grade ; le second répète inlassablement les mêmes gestes, avec comme unique différence l’arme utilisée. Nous passons de l’épée au sabre puis du sabre au pistolet ; ces instruments de mort servent, de façon paradoxale, aux personnages de moyens de communication, puisque tous deux n’échangent que des paroles menaçantes et des défis.


Le cinéaste incarne à l’écran l’obsession d’un siècle, expression d’une noblesse et d’une virilité en démonstration – voir à ce titre le chapitre que consacre au duel l’Histoire de la virilité (dirigée par Georges Vigarello et Alain Corbin)– qu’il représente telle une performance artistique faisant de l’homme, pendant quelques minutes ou quelques secondes, un substitut du Créateur, décidant du sort d’autrui. La clémence finale, qui annonce celle de Gladiator (2000), résonne avec la chute de l’empereur et son exil : le dernier plan filme Keitel de dos fixant l’horizon, rappelant un tableau de François-Joseph Sandmann (Napoléon à Sainte-Hélène, vers 1820). C’est dire que la démence du personnage équivaut à la démesure de l’empereur et de son siècle : tous deux se sont brûlé les ailes en repoussant les limites de leur condition humaine. Ils sont des avatars de Lucifer, des « porteurs de lumière » punis pour leur audace ; Armand d’Hubert se qualifie d’ailleurs de « diablotin dans le sillage de Satan ».


Ridley Scott signe une œuvre baroque, truffée de références à l’esthétique picturale des XVIe et XVIIe siècle – on pense à Rembrandt pour le travail du clair-obscur, aux vanités pour un plan sur une coupe de vin et une coupelle de fruits – qui immortalise par l’art la vitalité et l’honneur que manifestent les deux personnages dans leur confrontation directe avec la mort.

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le 28 avr. 2021

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