Je ne suis pas de ceux qui placent Hitchcock sur un piédestal inébranlable, mais il faut reconnaître qu'en termes de gestion du suspense, quand il s'agit de distiller subtilement le venin de la tension, il sait parfois y faire. "Les Enchaînés" en est un très bon exemple, tout en parvenant à surprendre du point de vue du contenu, qu'on imagine assez balisé au départ avant que le film ne prenne une tournure assez différente.


Au final, ce film est beaucoup moins un drame historique avec en son centre la question nazie à la fin de la Seconde Guerre mondiale qu'un mélodrame on ne peut plus sentimental, mais rondement mené. Les personnages sont enchaînés (pas du tout le sens du titre original) à leur amour et leurs devoirs, et cela les rend soit faibles, soit cruels. Le jeu des masques qui tombent ou qui se retirent presque prend le dessus sur tout le reste. Il y a bien sûr des grands moments de suspense, avec notamment le fameux compte à rebours à base de bouteilles de champagne qui s'écoulent... Délicieuse tension qui va crescendo. Le montage parallèle bar/cave est ingénieux, et d'une manière plus générale, la mise en scène fait preuve d'une minutie et d'une rigueur toutes deux délectables.


Cette façon de filmer une tasse de café, un trousseau de clé, ou même de présenter un personnage (Cary Grant, de dos, avec un gros plan sur sa nuque) est inimitable. Tout est au service du triangle amoureux impossible et dangereux, attisant les manipulations de toutes parts (pauvre Ingrid Bergman). Il n'y a pas de personnage fondamentalement bon ici, et même le "méchant" se trouve dans une situation suffisamment inconfortable pour qu'on le prenne en pitié à la toute fin (nouveau plan génial sur des escaliers qu'on monte et une porte qui se referme, appuyé par des jeux de lumière subtils). Au final, en poussant dans les bras d'un autre la femme que Grant aime, "Notorious" revêt les habits d'une histoire amoureuse douloureuse, contrastée. Un film sur la jalousie, le devoir, et les frustrations variées en découlant qui étouffent la classique histoire d'amour.


[AB #131]

Créée

le 1 oct. 2016

Critique lue 577 fois

10 j'aime

3 commentaires

Morrinson

Écrit par

Critique lue 577 fois

10
3

D'autres avis sur Les Enchaînés

Les Enchaînés
Sergent_Pepper
8

Le silence, l'enfermement et le poison liquide.

Un bien beau film sur le silence, l'enfermement et le poison liquide. Le début est un peu incertain à mon goût. Ingrid Bergman en délurée, c'est un peu difficile à croire. Grant, tout en flegme, est...

le 19 juin 2013

37 j'aime

Les Enchaînés
Docteur_Jivago
9

L'amour à la plage

Fille d'un espion allemand condamnée à une longue peine de prison au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Alicia va rencontre un agent secret américain qui va lui proposer de s'infiltrer au...

le 14 août 2016

31 j'aime

5

Les Enchaînés
Bestiol
6

enchaîné emballé livré terminé

NB. Ce qui suit dévoile des moments-clés de l'intrigue. Ouais, non, dévoile l'intrigue, en fait. Rétrospectivement je retiens de ce film son extrème linéarité, une fois les personnages campés (et...

le 19 déc. 2010

20 j'aime

3

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

139 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11