Face à une performance de comédien, le cinéphile passionné est grisé d'admiration. Et être béat devant Béart, l'Emmanuelle éclipsant alors celle au fameux fauteuil d'osier (2 ans plus tôt, révélation solaire dans "Manon des sources") cela va de soi durant toute la projection de ce film signé Yannick Bellon.
Celle qui, déjà, n'avait plus besoin de se présenter par rapport à papa chanteur, crève l'écran en allant très loin dans le registre dramatique. "Chaque jour, sur le plateau, l'histoire de Marie me dévorait !", a-t-elle confié après le tournage.
Pour Emmanuelle Béart, interpréter le personnage en question a été un pari artistique doublement difficile. Il condense en effet les destinées réelles de deux jeunes femmes, dont l'une est même sa 1re partenaire dans le film. Surtout, cela l'a faite se glisser dans la peau d'une délinquante zombiesque. Marie la taularde, pour prostitution et toxicomanie liées, Marie la fille mère, Marie déglinguée physiquement et psychologiquement.
Yannick Bellon, la cinéaste des tragédies féminines individuelles ("L'Amour violé", "L'Amour nu"...), base son film sur deux témoignages recueillis. L'histoire de Marie est donc une descente aux enfers, suivie d'une résurrection. A sa sortie de prison, elle rejoint d'autres "Enfants du désordre" encadrés de façon innovante. Des éducateurs les traitent en adultes et en artistes débutants dans le cadre d'une pièce à jouer tous ensemble.
Manque de drogue, manque de confiance à la fois en les autres et en elle-même, manque de goût de vivre... Marie reste longtemps fermée. Puis, elle entame un fragile dialogue avec le metteur en scène (Robert Hossein, formidablement mi-tendre mi-bourru, en alternance de jeu). Le déclic est, sans doute, la phrase hameçon d'intérêt qu'il lui lance au début : "Le Théâtre est un voyage qui en vaut bien d'autres !". Elle vit l'expérience côté "Entrée des artistes" et le spectateur peut se réjouir de son changement d'attitude sur scène, en fin de compte planche(s) de salut !
Scénario et mise en scène peuvent paraître un peu trop démonstratifs.
Peu importe.
La force essentielle du film est l'interprétation jusqu'auboutiste d'Emmanuelle Béart. Brune, irrésistiblement jolie malgré les effets de maquillage pour blêmir le teint et creuser les yeux, elle exprime une inoubliable gamme de sentiments âpres. De la révolte suicidaire au vertige artistique en passant par le bonheur fugitif. Elle est impressionnante de vérité. "Je n'ai jamais été aussi habitée par un personnage !", confiait-elle encore, peu après.
Sa composition dans "Les enfants du désordre" ne lui a pas valu le César de la Meilleure actrice 90 (elle était nominée), mais cela aurait été dans l'ordre des choses !