Ce qu'il y a de poétique dans ce réalisme de Carné, c'est ce tournage à une époque où le capitalisme dépose ses intestins sur la table pour les manger ; c'est ce tournage qui a transformé la réalité vers une réalité désirée et populaire, pour ne pas dire pleine d'identification.
Mais... je suis un sauvage ici... puisque... Je... Je n'ai pas aimé "les enfants du Paradis". Si ce désaveu hésitant est un élément déclencheur notable et subjectif, la suite l'est un peu moins.
Personne n'ose prendre cette case de la critique négative de peur de s'attirer les foudres obligatoires de l'intelligentsia du bon goût à la française et de l'exception culturelle. Alors je prends cette case (si vous aviez pensé une seconde comme moi, vous auriez connu le même chemin !). Oh bien sûr, il peut apparaître sot et immature de réfléchir de la sorte mais, de deux choses l'une, le film ne m'a pas tant plu et il comporte nombre d'éléments qui viennent entraver le sacré que cette oeuvre vivante et nostalgique représente.
On ne peut pas dire par exemple que ce soit un film consensuel ou purement divertissant. C'est une sincérité d'une époque révolue. Une sincérité qui a réellement existé, avec des personnages historique qui ont existé comme Deburau ou Lacenaire. C'est une sincérité qui est offerte aux travers de ces dialogues aussi poétiques qu'enlevés. Une sincérité au travers du travail sur la lumière et sur la lumière des personnages eux-mêmes, tantôt disparu, interrogatif tantôt réapparru, sans feinte.
J'ai bien conscience aussi que cette oeuvre représente du point de vue de l'Histoire un triomphe sur l'adversité : le film peut être vu comme le spectacle vivant de la dernière chance.
Peut-être est-ce "trop".
Mais ce n'est pas tellement un film à la narration traditionnelle. "Les enfants du Paradis" sont davantage une promenade parisienne habilement remplie pour mettre sous le tapis une romance commune. La multiplication des personnages secondaires sont davantage des personnalités que d'authentiques enjeux qui viennent traduire l'amour de Garance. La pauvre Garance. Garance la salope. D'ailleurs ces personnages sont particulièrement inégaux et pas toujours utiles au développement. C'est alors que je me suis mis à comparer "Les enfants du Paradis" non pas avec un chef d'oeuvre mais avec une série. Le film de Marcel Carné, avec sa caméra qui se laisse mener par le bout de l'objectif, avec sa mise en scène parfois grossière, m'a fait penser qu'il avait de sacrés points communs avec "Plus belle la vie".
(Huée)
Calmez-vous. Calmez-vous.
Je vous assure que ce n'est pas un sacrilège que je tente mais bien le fruit d'une réflexion menée devant ce film particulièrement décousu où s'enchaînent les moments magnifiques. J'en reproche l'hétérogénéité. Ou le manque d'homogénéité, appelez ça comme vous le voulez. Le manque d'homogénéité dans la mesure où l'absence de personnage central désintéresse les spectateurs des enjeux... trop nombreux pour ne pas être superficiels.
Quant aux jeux des acteurs, j'ai dit qu'il était inégal. Entre Baptiste et le Comte de Montray, il y a une sacrée marche et pourtant tout deux occupent pendant les deux parties le même rôle choisi par Garance, celui de mouches cantharides qui la feront s'esquiver en permanence. Alors puisque tout l'univers tourne autour de la fleur de Garance, il convient tout de même de dire que sa mise en relief par rapport aux autres protagonistes n'est pas très subtile. Son jeu en lui-même contraste de manière désagréable ceux de ses partenaires. Elle les force à quitter leur réalisme pour mieux emprunter les chemins pathétiques de traverse. J'ai eu sérieusement le sentiment qu'ils ne jouaient pas dans le même film, qu'Arletty ne se fondait pas dans le film. Elle et son personnage, je les trouve maladroit et peu sincère au reste. Voilà une distinction qui m'est restée en travers de la gorge tout du long, alors que j'avais décidé de passer l'éponge sur la réalisation absente.
Je ne nie pas les qualités artistiques de cette oeuvre. C'est une vie très belle, qui gigote, qui parlote, une vie qui aime et qui est imprévisible. Je ne nierai pas non plus sa qualité historique car ces Enfants-là ont bien posé un jalon dans l'Histoire du cinéma. Mais il a provoqué chez moi une overdose de choses sublimes et disparates, telle dans une série - chose qui n'existait pas auparavant mais avec laquelle nous devons composer de nos jours.