A l’heure du deuxième âge d’or hollywoodien et des productions flamboyante en technicolor, l’un des réalisateurs les plus plébiscité de l’industrie va pervertir l’imagerie de l’intérieur pour en dévoiler la part sombre et dresser le portrait peu flatteur de l’institution ainsi que d’un producteur ambitieux, prêt à tout pour se hisser au sommet et faire oublier la déchéance de son père autrefois magnat du milieu. Cette figure de démiurge aussi fascinante que abjecte n’existera jamais autrement qu’à travers les souvenirs de ses anciens collaborateurs qui s’en feront les juges et éventuels bourreaux. Les Ensorcelés interroge la notion de point de vue comme l’avait fait Rashomon quelques années plus tôt. Chacun des flash-back possède ainsi sa propre tonalité influencé par la nature de la rupture, des expériences et des rapports entretenu avec l’accusé. S’ils ont l’occasion de lui tendre la main et de l’aider à connaître meilleur fortune, le trio possède également un énorme point commun, celui de lui devoir une bonne partie de leur réussite dans leur ascension vers la gloire. Même si les années ont passés, la rancœur et l’amertume restent les sentiments les plus prédominants, parce que les gens n’oublient pas si facilement.


Dans les années 50, nombreux sont alors ceux à réaliser des films dévoilant le quotidien dans les coulisses du cinéma avec une certaine forme de bienveillance et de mélancolie mais c’est bien la représentation acerbe de Vincente Minnelli qui restera dans les mémoires puisqu’il dépeint un univers impitoyable et sournois afin de faire voler en éclat le vernis idéalisé par les médias. L’accusé est interprété par le légendaire Kirk Douglas, un monstre sacré à la personnalité mégalomane, véritable meneur d’hommes, dénicheur de talents, magouilleur, manipulateur intransigeant capable du meilleur comme du pire quitte à trahir un ami pour lui voler ses idées et les confier à un autre artisan moins méritant, ou bien à jouer les entremetteurs entre un acteur et la femme d’un scénariste pour obliger l’écrivain à se consacrer uniquement à son art le plus dévolue ou enfin à séduire une actrice pour la faire arrêter de boire, la réhabiliter et l’exploiter avant de la rejeter une fois le tournage terminé. Un odieux personnage de requin qui ne recule absolument devant rien pour arriver à ses fins et à qui l’on devra la longue prospérité des studios.


Conscient du capitalisme sauvage régnant au sein de l’industrie et des dérives que peuvent engendrer la célébrité, le réalisateur ne porte néanmoins aucun jugement mais démontre au contraire toute la complexité des rapports que les artistes entretiennent avec la création et des relations pervertit par les égo et ambitions démesurés jusqu’au point de virer à l’obsession. Jonathan Shields est donc tout sauf le diable esquissé par ses victimes, il n’est rien de plus qu’un homme blessé dans son amour propre qui tente de prendre sa revanche sur l’institution quitte à faire de l’ombre au reste du monde. Dès lors, l’art n’est plus un exutoire mais bien un moyen d’accéder à la reconnaissance et au pouvoir. Son ascension tumultueuse vers le sommet ne se fera pas sans quelques sacrifices et sa déchéance n’en sera que plus fulgurante. On peut deviner sans trop de mal dans quel état de vulnérabilité on doit être après un retour aussi fracassant sur la terre ferme. Une situation de désolation auxquelles ses interlocuteurs ne manqueront pas de prêter une oreille attentive et attendri, probablement parce que sa personnalité aura sût marquer leurs esprits, et si d’autres choisiront de lui tourner le dos, ce trio ne semble pas totalement dénoué de la moindre empathie. La fin n’aura rien d’un conte de fée, et si une réunification commune est envisagé, on sait pertinemment que l’histoire se répétera inlassablement. Toucher le fond pour mieux remonter, triompher puis replonger à nouveau dans le grand bain avec les requins.


Si toi aussi tu es un gros frustré qui en a marre de toutes ces conneries, eh bien L’Écran Barge est fait pour toi. Tu y trouveras tout un arsenal de critiques de films subversifs réalisés par des misanthropes qui n’ont pas peur de tirer à balles réelles.

Le-Roy-du-Bis
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le 26 déc. 2023

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