Sorti aux Etats-Unis le 25 mai 1977, Star Wars de George Lucas s'impose rapidement comme la grande sensation de l'année. Devenu l'un des plus gros succès de l'histoire du cinéma, le film produit par la 20th Century Fox ne tarda pas à inspirer les studios concurrents et étrangers. Ainsi dans ce contexte le Japon est l'un des premiers si ce n'est le premier pays à être réactif au phénomène.
Il est de bon ton de présenter Les Évadés de l'espace comme étant un pastiche de Star Wars réalisé à la va-vite pour surfer sur le succès de l’œuvre de Lucas. La Toei a profité du laps de temps entre la sortie du film aux Etats-Unis et celle au Japon un an plus tard pour mettre sur pied leur propre aventure stellaire qui se voulait grandiose. La proximité de certains motifs entre les deux œuvres permet d'abonder dans ce sens et c'est d'ailleurs assumé. Par exemple la fougueuse et vaillante princesse Emeralida renvoie à Leia, les combattants Gavanas évoquent les Stormtroopers, Beba-2 fait office de R2D2, les plans cadrant le vaisseau de Rockseia XII convoquent le Star Destroyer, le sabreur Hans pourrait être un Jedi et la planète Jillucia reconvertie en forteresse spatiale mouvante par les Gavanas rappelle bien sûr l'Etoile de la Mort. Le thème d'ouverture de Ken-Ichiro Morioka cite même une partition de John Williams.
Cette affirmation est toutefois à nuancer car le genre du space opéra était alors pleinement dans l'ère du temps au pays de l'Empire du Soleil levant. Leiji Matsumoto a créé le personnage d'Albator pirate de l'espace qui apparaît pour la première fois dans le manga Dai-Kaizoku Captain Harlock publié en 1969 puis dans Capitaine Albator ou Uchū kaizoku Kyaputan Hārokku des janvier 1977 au Japon. Matsumoto réalise aussi et surtout en 1974 Uchū Senkan Yamato, une série d'animation plus connue chez nous sous le titre Space Battleship Yamato. Œuvre phare et matricielle, elle conserve aujourd'hui son influence capitale sur le genre du space opéra japonais.
Il ne faut pas oublier non plus que Georges Lucas s'est beaucoup inspiré de la culture japonaise pour créer Star Wars. Les tenues et l'art du combat des Jedi renvoient à la représentation des samouraïs et leurs noms au genre du jidai-geki. Le théâtre kabuki a quant à lui beaucoup inspiré la conception de certains costumes. Enfin Lucas cite souvent de son propre aveu La Forteresse cachée d'Akira Kurosawa comme principale inspiration notamment en ce qui concerne la narration et la mise en scène. Cela permet quand même de couper l'herbe sous le pieds des détracteurs qui ont accusé les producteurs et auteurs japonais de faire preuve de pur opportunisme.
D'autant que Kinji Fukasaku n'envisage pas du tout pour sa part de réaliser un calque du film de Lucas. S'il converse la dimension intemporelle du récit de ce-dernier, il se focalise sur la trajectoire d'un groupe qui peine à se former. En effet la plupart des protagonistes de ce Uchu kara no messeji ne disposent pas d'aptitudes spécifiques aux héros. Ils doutent et en viennent parfois à mal agir. Ce ne sont pas des surhommes et ils ne disposent pas de pouvoirs surnaturels. Certains sont agressifs, rebelles et réfractaires à l'autorité quand d'autres sont des petites frappes ou des alcooliques remplis de désillusions. On retrouve donc ce caractère picaresque qui faisait déjà l'apanage de La Forteresse cachée. Ce sont Emeralida et surtout Meia les personnages féminins qui seront les coordinatrices du groupe, conférant au film un petit côté féministe appréciable. Les pouvoirs et l'appel de noix magiques, les noix de Liabé permettront aux protagonistes de se réconcilier avec leur nature profonde et de révéler leur courage enfoui. C'est d'ailleurs l'un des seuls éléments fantastiques et merveilleux d'un scénario que Fukasaku a voulu dépouiller à l'extrême puisqu'il était conçu à la base comme une adaptation de Nansô Satomi Hakkenden, un roman à épisodes qui conte les aventures de huit demi-frères samouraïs descendants d'un chien. Fukasaku voulait surtout s'écarter d'un concept immatériel comme l'était celui de la Force et il n'y a de ce fait pas d'élu unique. Il pose incontestablement sa patte sur le film. En utilisant son style fait de caméra portée à l'épaule et en filmant majoritairement à contre-jour, il donne à l’œuvre un aspect saisissant et pris sur le vif. Les rafles des Gavanas marquent par leur violence, leur spontanéité et leur brutalité. Une violence palpable dont le point d'orgue est atteint lors de l'attaque de la forteresse Gavanas par des croiseurs spatiaux humains dont les bombardements inoffensifs pour l'ennemi provoquent un massacre désastreux chez les innocents de Jillucia. Les effets spéciaux pyrotechniques sont alors et dans l'ensemble tout à fait satisfaisants et impressionnants.
Citant donc Star Wars, il est tout à fait plausible de penser que le métrage ait pu influencer ses suites. Le personnage de la mère de Rockseia XII, la vieille Dark sur son fauteuil est une ébauche de l'empereur Palpatine, tant par son apparence que par l'emprise qu'elle exerce sur le souverain. Le personnage est joué par Hideyo Amamoto, acteur masculin qui perpétue la tradition japonaise de l'onnagata dans une déclinaison tout à fait remarquable, dommage cependant qu'il soit sous-exploité. Il fait écho au personnage Kamesasa joué par Noboru Mitani, lui aussi acteur masculin qui interprète une vieille femme mère d'un fils mutant ressemblant à un yokai dont les souvenirs seront pillés dans une séquence touchante emplie de nostalgie. Il y a aussi cette communication par hologramme géant et la salle du trône par ailleurs fort bien décorée qui préfigure Bespin. Et bien sûr la fameuse course poursuite dans les tunnels de Jillucia qui prépare Le Retour du Jedi tout en étant elle-même une réponse à la fin de La Guerre des étoiles.
Les effets spéciaux privilégient l'usage de maquettes et de systèmes câblés. La technique de Motion Control - système de contrôle des déplacements de caméra par matériel informatique qui permettait à celle-ci de naviguer par mouvements pré-programmés autour de miniatures immobiles - utilisée dans Star Wars n'était pas disponible au Japon. Beaucoup de prises de vues réelles sont donc effectuées, réalisées avec des techniques balisées mais avec un sens du détail peu commun. Il suffit pour le constater d'admirer le travail qui a été fait sur les maquettes et qui reste bluffant aujourd'hui. Celle du vaisseau amiral de Rockseia XII a ainsi coûté 2,2 millions de yens et est superbement mise en valeur dans le film. Le vaisseau en devient tout aussi iconique et impressionnant que le Star Destroyer. Les courses-poursuites elles-aussi sont efficaces et propulsent avec vitesse et vélocité les maquettes de vaisseaux dans les décors. Le film expérimente aussi des techniques de trucage vidéo par le biais du Totsu ECG, un procédé qui superpose des images. Encore balbutiant à cette époque, il est utilisé dans une séquence de sortie dans l'espace que je trouve très belle et très poétique malgré sa fantaisie apparente et son ton léger.
Fukasaku convoque le yakuza-eiga dont il est le maître par l'intermédiaire du personnage de voyou joué par Masazumi Okabe mais aussi le chanbara par les tenues de Rockseia XII, de ses lieutenants et du prince Hans. Leur affrontement fait la part belle à des chorégraphies dynamiques et techniques, bien supérieures aux passes d'armes un peu statiques que l'on peut voir chez Lucas. Le vaisseau de Meia auquel se greffe celui de Shiro et de Aaron peut se séparer à volonté et préfigure les robots qui déferleront plus tard dans les sentai. Il y a bien dans tout ceci l'affirmation d'une âme purement japonaise.
Les Evadés de l'espace peut aussi être interprété comme une parabole écologique audacieuse. Les productions de SF japonaise aiment placer la Terre comme l'équinoxe de leur récit ce qui permet d'ancrer les enjeux. On fait allusion plusieurs fois à la pollution spatiale et à l'expansion de l'Homme. La planète Jillucia est ravagée par un peuple humanoïde qui soumet des êtres proches de la Nature. Leur planète verdoyante, riche et vivifiante est transformée en ruine où seuls émergent des bâtiments et installations militaires très froids et anguleux. Le salut de l'humanité vient d'ailleurs de noix. Le charme du film c'est aussi toutes ces excentricités qu'il se permet, comme ce bateau volant tout droit sorti d'un univers steampunk.
Réalisé en un temps record et plus gros budget à l'époque du cinéma japonais ( 6 millions d'euros ), Les Evadés de l'espace a été un vrai phénomène de société qui a même été plus rentable au Japon que Star Wars sorti quelques mois plus tard. Bel étendard de ce que peut être le space opera japonais, il est d'ailleurs à l'origine de la série San Ku Kaï culte dans nos frontières.