À l’instar de l’excellent Les anges aux figures sales, la question morale se trouve toujours au centre des enjeux narratifs des films de gangster de cette époque (années 30 principalement), produits par la Warner Brothers. En effet, comment rendre le film acceptable par la censure tout en restant assez fidèle à la réalité, parfois crue ? Comment ne pas choquer la sensibilité du public tout en restant vraisemblable ? Tel est le défi de chaque cinéaste qui se lance dans un film du genre.
Ici, Walsh a un scénario parfaitement huilé qui lui permet d’équilibrer les forces contraires et de justifier chaque acte néfaste des gangsters (notamment Eddie Bartlett). En effet, ceux-ci se vengent toujours d’une injustice sociale (la guerre, le chômage pour les anciens combattants, la crise économique, …) ou d’une trahison (celles de George Hally surtout, mais pas que) pour commettre leurs actes violents et infamants. Même les personnages clean sont condamnables : l’avocat Lloyd est prêt à passer aux aveux (alors qu’on ne balance jamais) et Jean profite de la cécité amoureuse d’Eddie et le « trompe » avec Lloyd ; or, eux aussi sont excusables : l’un agit pour le bien de la Justice, l’autre pour ne pas blesser celui qu’elle aime comme un protecteur.
Le seul acte répréhensible et inexcusable est celui commis par George Hally (Bogart) au cours de la meilleure scène du film selon nous (rappelant la magnifique scène de l’ours empaillé de l’excellent L’ennemi public, avec Cagney comme protagoniste aussi), dans le hangar contenant les réserves d’alcool. Or, même ici, Hally agit certes excessivement mais par vengeance contre un colonel petit chef et prépotent.
Walsh prouve qu’il est capable, malgré le rythme effréné de réalisations de films (jusqu’à trois par an, ce qui est impensable de nos jours), de garder une haute qualité. Outre le parfait scénario (auquel a collaboré le jeune Robert Rossen), la caractérisation des personnages, l’équilibre entre eux malgré une assez grande multitude, une très belle photo, le rythme très bien maintenu, les acteurs impeccables, Cagney en tête (l’un des meilleurs de sa génération avec Edward G. Robinson, laissant Bogart loin derrière à notre humble avis), il pose par ailleurs une réflexion, certes assez convenue de nos jours mais fondée, sur le déterminisme social, économique et politique (guerre, chômage de masse, prohibition, classes sociales et élitisme, …).
Du très bon Walsh.
7.5/10