8 ans avant d'aborder à nouveau le sujet de la prostitution à une époque où une loi sera votée pour en limiter le développement ("La Rue de la honte"), Kenji Mizoguchi abordait la même thématique dans un cadre beaucoup plus noir et aux accents mélodramatiques plus prononcés. C'est le Japon d'après-guerre dans toute sa ruine et son affliction morale, qui verra les deux principales actrices Kinuyo Tanaka (superstar des années 30-60) et Sanae Takasugi (beaucoup moins célèbre) sombrer dans le commerce de leur corps et au-delà le long d'un parcours dramatique particulièrement chargée. Et pour cause : une femme perd son mari, apprend par sa sœur que leurs parents sont morts et la mort de son enfant de la tuberculose, sa sœur sera l'amante de son patron dont elle était déjà l'amante et chopera la syphilis tout comme elle avant de devenir la reine des prostituées dans les bas-fonds d'Osaka. Mizoguchi n'y est pas allé de main molle dans le registre du sordide — certes sans doute en lien avec la dureté de son temps, en 1948.
Je n'ai pas été conquis par la transformation éclair de Kinuyo Tanaka qui passe du statut de femme au foyer modèle au symbole absolu de la déchéance sans trop de transition, tout comme le personnage de son patron apparaît un peu trop unilatéralement sous l'angle de la caricature de l'homme vil. On passe souvent d'un côté à l'autre de la frontière qui sépare les victimes des bourreaux, et en ces termes le portrait de la gent féminine cher à Mizoguchi s'en trouve un peu terni, du moins amoindri dans sa force. On a souvent dit qu'il avait été influencé par le néoréalisme italien, et c'est vrai que le sujet (éloigné de l'autre grande thématique du cinéaste, la condition de l'artiste) se prête naturellement à une vision immersive des conditions de vie de plus en plus abominables. Le glissement des geishas vers les filles de rue est rude.
Puis on apprend que l'épouse du réalisateur, Chieko Mizoguchi, était elle-même atteinte de la syphilis et sombra dans la folie — donnant ainsi une coloration autobiographique au film. Ça en deviendrait presque l'œuvre la plus noire, manifestant le plus de dureté à l'égard de ces femmes offensées, humiliées, dont la trajectoire semble entièrement déterminée par cette dernière séquence, dans une décharge faisant face à une église en ruine, symbole ultime d'impuissance. Reste que l'acharnement des malheurs est un poil trop cumulatif pour laisser le film respirer et prendre l'ampleur tragique recherchée.