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"Pour aller jusqu'à toi, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre"

Un nouveau Kaurismäki, c'est forcément l'occasion de retrouver l'univers tellement particulier de cet auteur qui cite Bresson et Godard comme modèles, et inclut dans les Feuilles Mortes un extrait d'un film de Jarmusch (pas le meilleur, mais bon...) vu par ses deux personnages principaux au cours d'une parenthèse enchantée... dans une salle de cinéma: un univers intemporel - pas de téléphones portables dans ses histoires - magnifié par une photographie très belle, bien qu'en dehors des codes de l'esthétisme consensuel moderne, et par une mise en scène aussi simple, aussi "près de l'os" que celle d'un Ozu, par exemple.

Plus jeune, Kaurismäki avait quelque chose d'un punk tendance garage, et aimait rigoler et provoquer son public. En vieillissant, il a peu à peu dépouillé ses films de tout ce qui n'était pas essentiel, et est arrivé à une sorte de perfection humble, aussi bien dans la narration de cette simple histoire d'amour à l'issue sans cesse différée ("Pour aller jusqu'à toi, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre", pour citer Bresson, justement...), que dans la composition en quelques plans et en quelques phrases de dialogues de portraits justes et touchants d'êtres qui nous ressemblent.

Certains reprochent à Kaurismäki de toujours faire le même film, d'autres de se satisfaire d'un système désormais éprouvé : c'est vrai et c'est faux à la fois. Car les feuilles mortes, s'il est une fois encore un mélange indécidable de drôlerie et de désespoir, affronte bien son (notre) époque : la guerre en Ukraine est omniprésente, la violence inhumaine de la société capitaliste, combinée avec l'indifférence générale, est dans presque chaque scène. Les feuilles mortes est donc un film politique autant que poétique : il indigne autant qu'il émeut, sans jamais être démonstratif ni évident. Ses protagonistes ne sont pas des héros, loin de là, mais on les comprend et on les aime. Et puis, cerise sur le gâteau, les feuilles mortes est rempli - comme son titre le laisse présager - de chansons tristes, qui nous font rire et sangloter à la fois.

Le résultat est un chef d'œuvre, et l'un des films les plus marquants vus en 2023. Comme quoi, quand tout va mal, on peut encore faire de grands films d'espoir, comme en faisait Chaplin à son époque. Un Chaplin à qui la dernière scène rend directement hommage. Il n'y a pas de coïncidences.

[Critique écrite en 2023]

EricDebarnot
8
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le 25 déc. 2023

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Eric BBYoda

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