Charlie et la grande censure de verre
On s'en sera rendu compte, "Les feux de la rampe" est de loin le film le plus personnel de Chaplin. C'est une réflexion explicite sur le métier d'artiste (à signaler : l'apparition de Buster Keaton à la fin), sa carrière, ses idées, l'amour, sa vie, la vie, la mort et sur tellement de choses encore (c'est fou, il y a (presque ?) tout dans ce film)... C'est ça aussi (il y aurait moyen d'argumenter en faveur d'un « surtout » ici) Chaplin.
On remarque d'ailleurs que la volonté de réflexion devient de plus en plus explicite au cours de son évolution cinématographique, ce qui s'explique bien sûr par le passage du muet au parlant, mais pas seulement. Dans "Les feux de la rampe", comme cela avait commencé dans "Le dictateur" (le discours final) et s'était généralisé dans "Monsieur Verdoux", on assiste carrément à des monologues (dans un esprit très théâtral délibéré) sur des thèmes, comme d'habitude, très universels. Mais là où on aurait pu avoir de la purée intellectuelle en cherchant absolument à compliquer la simplicité, Chaplin, de par l'intensité qu'il donne magistralement à ces propos, réussit à leur redonner cette sorte de caractère originel qu'ils se doivent de posséder, étant des thèmes primordiaux de l'humanité.
Ce dont on ne se rendra pas forcément compte, c'est qu'il s'agit aussi d'un de ses films les moins politiques (on peut même considérer "Les feux de la rampe" comme étant apolitique). Il est d'autant plus étonnant qu'il ait été le premier à être censuré aux États-Unis (en conséquence des diverses critiques sous-jacentes dans "Monsieur Verdoux"), alors que les précédents films de Chaplin avaient été bien plus politiques... Par contre, à travers 'Les feux de la rampe", le réalisateur n'hésite pas à régler ses comptes avec pas mal de monde (en particulier les producteurs artistiques)...
Ce sont donc vraiment des thèmes profondément humains qui sont au cœur du film, et bien sûr, l'art. L'art qui apparaît sous de nombreuses formes à l'intérieur du film : du sketch comique, du mime, du théâtre, du ballet, ça chante, il y a un pianiste, des orchestres... Bref, on a là une véritable ode à l'Art. On peut également déceler une certaine inquiétude de Chaplin quant à l'avenir de l'art, qui est cependant plus ou moins contrebalancée par le message d'espoir qui se dégage aussi du film. Il me semble que Chaplin nous fait part de ce que pour lui, les deux choses les plus primordiales chez l'homme sont l'amour et l'art.
On peut d'ailleurs noter un élément assez autobiographique concernant l'amour, à savoir que Chaplin n'a jamais caché son attrait pour les jeunes beautés (exclusivement des brunes en passant), dont il aimait découvrir et faire découvrir le talent artistique et dont il tombait amoureux... Ce que l'on retrouve dans le film, à travers la relation entre le « clown déchu » et la danseuse (et ici je placerai juste la toute petite chose qui m'a très légèrement déplu : je trouve qu'il y a deux ou trois moments où Claire Bloom en fait un tout petit peu trop, mais voilà, c'est vraiment pas grand-chose).
La poésie est toujours extrêmement présente, avec un côté bien sûr plus dramatique que dans le reste de l'œuvre de Chaplin. La musique est particulièrement sublime. On rit encore, on sourit plutôt, presque jusqu'à la toute fin.
Le film peut être considéré comme une sorte de lègue et de passage de flambeau (avec une image de fin assez révélatrice). C'est fait proprement, c'est magnifique... En même temps c'est Chaplin, donc voilà quoi, tu t'émerveilles, tu restes coi.