Conventionnel, manichéen et individualiste

Pas mal de thèmes sont abordés dans le film, plus ou moins bien traités…


Les débuts de la conquête spatiale


Ce n’est pas le plus passionnant : au début du film, les Russes ont déjà envoyé Lady Gagarine dans l’espace ; les Américains répliquent en préparant un vol orbital habité (sur orbite elliptique) pour changer des vols paraboliques non habités. Ils pensent à envoyer un type dont le physique, le sourire et la coiffure prouvent qu’il s’agit de Captain America (ainsi il ira dans l’espace, il est charmant et immortel, ça devrait bien se passer pour lui…). Le film va montrer comment les Américains se mettent au niveau des Russes pour rester en tête par la suite dans la conquête spatiale. Cette course a sûrement été très profitable pour la recherche, elle n’en est pas moins menée pour de mauvaises raisons politiques et dans le film, c’est encore plus absurde : le chef du projet, Al Harrison, manifeste sa crainte que les Russes n’envoient un satellite avec des bombes… Bref, le film est à la gloire de la réussite américaine, de là à le trouver exaltant….


Des portraits de femmes dans leur vie privée


C’est le plus catastrophique. Un bon point tout de même, c’est que deux des héroïnes n’ont pas du tout un physique conventionnel dans le cinéma hollywoodien récent et les actrices ont pas mal de charisme. Conscients de ce défaut énorme, les auteurs vont compenser cela en leur donnant une perfection et un caractère totalement admirable d’un bout à l’autre du film, flinguant toute la crédibilité psychologique du film et le transformant rapidement en parfait conte de fées.


Supergirl #1 (Katherine Johnson) est une mère célibataire qui a trois filles, les plus sages et souriantes de la terre, qui font un tout petit reproche justifié à leur mère en rigolant, bien conscientes de la chance qu’elles ont et pleines de gratitude pour les scénaristes. (En plus, ça tombe bien, elles adorent le copain de leur mère et le feront bien comprendre dans une scène d’un sentimentalisme éhonté mais en rien surprenant.)
Supergirl #2 (Dorothy Vaughn) est une mère parfaite.
Supergirl #3 (Mary Jackson) fait toujours preuve d’un humour solide, elle est un peu plus libérée avec les hommes et cela servira à une de ses amies.


Le problème est que les personnages secondaires de la vie privée de ces femmes sont absolument inconsistants et ne servent qu’à mettre en valeur les femmes : il n’y a bien sûr aucun conflit sérieux. Les seuls qui pourraient poindre sont immédiatement résolus, c’est trop beau.


Le racisme au sein de la NASA


C’est le plus intéressant dans le film. On y voit un racisme et un sexisme institutionnels. La ségrégation est instituée et dans les relations entre Blancs et Noirs, ces derniers doivent demeurer dans un rôle de subordonné soumis.


Comme partout ailleurs, il y a des toilettes pour Blancs et des toilettes pour Noirs. Le film va faire la démonstration convaincante que c’est (au moins) inefficace pour le travail et il faudra supprimer cette ségrégation. Le film se montre pourtant d’une maladresse très surprenante. On ne verra jamais d’écriteau signalant les toilettes pour Blancs, seulement un écriteau signalant les toilettes pour Noirs et c’est ce panneau qui sera enlevé. Mais cela dit en fait que les Blancs ont désormais le droit d’utiliser ces toilettes ; pourquoi n’enlève-t-on pas un panneau signalant les toilettes pour Blancs dans le bâtiment où ils travaillent tous ?


L’une des héroïnes sera victime du racisme de ses collègues, à nouveau à propos de quelque chose de très banal, ce qui met bien en évidence le caractère quotidien de ce racisme, cette fois non imposé par l’institution mais qui est celui de ses collègues de travail.


Les qualités intellectuelles des femmes


Il ne fait aucun doute que ces femmes furent extrêmement brillantes dans la réalité. Mais la perfection des héroïnes continue dans la sphère professionnelle. Ca commence à faire beaucoup !


SG#1 se montre tout le temps indispensable pour vérifier les calculs, dépassera à plusieurs reprises ses collègues hommes et blancs et aura l’idée géniale qui va résoudre un gros problème technique. Elle dame régulièrement le pion à ses collègues et travaillerait sous la douche si c’était possible.
SG#2 se met toute seule à programmer le nouvel ordinateur (grand moment où elle rebranche un câble mal placé) et sauvera l’emploi de jeunes femmes.
SG#3 veut devenir ingénieure. Elle gardera son obstination, jusqu’à faire la leçon à un fonctionnaire trois fois plus vieux qu’elle qui, ébloui par son discours de 45 secondes, lui accordera ce qu’elle demande.


C’est encore pire que dans la vie privée : tous les personnages secondaires ne sont définis qu’en relation avec ces trois femmes. Kirsten Dunst et Jim Parsons n’ont qu’un seul trait de caractère qui définit leur relation avec l’une des héroïnes (méprisant car jaloux, méprisant car raciste) ; ils n’ont donc rien à jouer et sont nuls. Kevin Costner a plus de chance, il en a deux (pragmatique et mâcheur de chewing-gum) et il n’est pas mal du tout. Ainsi, le film, pour faire l’éloge de ses héroïnes, enfonce tous les autres personnages ou presque. Au milieu des robots les Noires sont reines.


Dramatiquement, c’est catastrophique : le film ne donnant leur chance qu’aux héroïnes, elles ne peuvent pas manquer d’avoir le dessus sur les autres et de triompher finalement. Toutes les scènes, et même certains dialogues deviennent donc très prévisibles. Comment les affrontements entre les Noires et les racistes sont-ils filmés ? De la manière la plus plate du monde, en champs/contre-champs, c’est-à-dire exactement comme les relations des femmes entre elles et avec leurs maris ou amants. Cette mise en scène empêche de créer de vraies relations entre des personnages, même ressortissant d’une domination violente.

Tout cela a pour conséquence de supprimer la liberté de ses personnages et l’incertitude des évènements. Cela tue toute vie, rendant toutes les scènes artificielles et programmées (quand une scène commence et quand on voit où elle veut en venir, on en sait déjà la fin ou presque).


En creux : le désengagement politique


Les trois femmes travaillent à la NASA dans des lieux séparés à des tâches différentes, jamais ensemble. Elles ne pensent qu’à leur pomme (sauf SG#2 avec les filles sous ses ordres, mais c’est l’exception qui confirme la règle et le film y passe un temps minime sans présenter aucune des filles en question), ce qui certes est indispensable, mais donne une vision fausse du progrès. Elles n’ont aucune activité militante (pourquoi pas), et ne parlent jamais de ce qu’elles pourraient faire pour changer les choses. Dans une scène, elles sont réunies chez l’une d’elles et deux autres poussent la troisième à tout tenter pour faire des études d’ingénieur, rien de plus. Les luttes collectives, elles ne connaissent pas. Les femmes semblent considérer le militantisme d’un œil sceptique : SG#2 passe avec ses enfants devant une manifestation avec ses enfants et leur dit, méfiante, de faire attention et de s’éloigner. SG#3 est mariée à un militant et on ne saura jamais rien de ses activités, car ils n’en parlent pas. Un journal télévisé annonce plus tard l’incendie d’un bus des Freedom Fighters (aucun autre détail n’est donné sur eux) et que le FBI a arrêté des suspects. La scène est très brève et manifestement seulement destinée à rappeler un vague contexte social brutal. (En outre elle dit en douce que le FBI était du côté des Noirs mais il y a eu de nombreux cas où le FBI était franchement du côté de la police et des réactionnaires). Il y a une brève déclaration de Martin Luther King. SG#3 refuse au départ que ses enfants voient la scène, son mari insiste, elle accepte. L’ambigüité n’est pas levée : refuse-t-elle parce que les images sont choquantes et brutes (mais dans ce cas, on peut parler aux enfants sans les leur montrer) ou bien ne veut-elle pas plutôt confronter ses enfants à un véritable activisme ? Voilà pour le militantisme ; on ne va pas parler politique dans un film hollywoodien contemporain, n’est-ce pas. A la fin du film, grâce à leur fréquentation des héroïnes, deux personnages blancs auront révisé leurs préjugés. Le film laisse ainsi l’impression que c’est grâce aux héroïnes que se fait le progrès des consciences : c’est-à-dire à force de fréquenter des génies noirs, les blancs vont bien comprendre qu’ils sont leurs égaux. Or historiquement ce sont les nombreux mouvements sociaux et la pression populaire qui ont fait voter la loi sur les droits civiques sous la présidence de Lyndon Johnson. On voit ainsi dans ce film trois figures de l’individualisme et un oubli (sûrement volontaire) des actions collectives ; le film promeut clairement leur démarche et leurs choix. Si historiquement cela ne représente pas grand-chose, c’est un beau projet libéral pour l’avenir : faites tout pour améliorer votre condition et vous y arriverez ; les autres, on s’en fout. Une tentative de plus pour démontrer ce qui n’existe pas : le rêve américain.

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le 15 mars 2017

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